Marché tendu, candidats introuvables, guerre des talents… Le recrutement en 2022 ressemble plus à Walking Dead ou à Koh Lanta qu’à un téléfilm de Noël. Et pas sûre que ça s’améliore en 2023.

Au début, on pensait que les difficultés ne touchaient que certains emplois et secteurs : industrie, aide à la personne… Mais quand ça a touché la restauration et menacé nos apéros, là c’est devenu un problème de société.

Pire, le mal a atteint la start-up nation. On a critiqué cette culture start-up trop standardisée et superficielle : babyfoot et open bar hebdomadaire, mais 80 heures par semaine avec ton ordinateur perso.

Le candidat aujourd’hui (encore plus que celui d’hier) est exigeant, méfiant et prêt à quitter l’entreprise à tout instant si elle le déçoit car il sait qu’il retrouvera un job rapidement.

Les entreprises – et les start-ups n’y échappent pas – doivent définir ou redéfinir leur Culture, leur Pourquoi. Et ça part de tout en haut, du CEO.

Aujourd’hui comme demain, la clé de la croissance et de la longévité ne sera plus dans le nombre de millions levés mais dans les actions pour attirer et retenir les talents. 

Et si la politique de recrutement prenait (enfin) une place stratégique pour les entreprises ?

J’ai interrogé plusieurs CEO qui semblent considérer le recrutement comme un levier de croissance et leur ai posé les mêmes questions pour faire remonter les points communs (et les différences) et des idées duplicables chez vous sans danger.

J’ai aussi discuté avec un fonds d’investissement qui investit uniquement dans des entreprises People first, pour en savoir plus sur les critères d’évaluation RH et de recrutement des investissements envisagés.

Merci à Guillaume d’Ayguesvives de moka.care (65 collaborateurs),
Benoît Dubos de Scalezia (25 collaborateurs),
Toinon Georget de Walaaxy (15 collaborateurs),
Virgile Raingeard de Figures (40 collaborateurs)
et Thibault Renouf de Partoo (440 collaborateurs).

Et merci à Bruno Martini et Sarah Jallot de Teampact Ventures

D’ailleurs, qui suis-je pour vous raconter tout ça ? 

Je travaille chez YAGGO, nous sommes spécialisés dans le recrutement et plus précisément dans l’expérience candidat. J’agrémenterai ces témoignages de notre expertise et d’outils utiles.

Ces interviews m’ont mené à 3 constats : 

  1. Le premier recruteur d’une entreprise est toujours le CEO
  2. Le recrutement est un levier de performance de l’entreprise
  3. Le recrutement est un levier de Culture de l’entreprise

Et en parallèle de cet article, n’hésitez pas à faire un tour sur le podcast du média Tribes (Start to Scale) qui aborde ce sujet dans différents épisodes. En particulier ci-dessous, vous trouverez le témoignage de Toinon, CEO de Walaaxy, au micro de Eric Seclet !

1- Le premier recruteur d’une entreprise est toujours le CEO

Et l’appétence de chacun pour cette mission dépend de sa propre expérience en tant que candidat, c’est donc par là que les entretiens ont commencé.

“Derrière chaque grand CEO se cache un candidat ______” (à vous de compléter)

Chaque CEO a une anecdote qui lui est arrivée en tant que candidat, un souvenir qui a guidé ses motivations et exigences en tant que recruteur. 

Enfin sauf pour Toinon qui a monté Walaaxy quand il était étudiant, et qui n’a donc pas eu la chance d’être dans cette situation de candidat, souvent stressante et inconfortable.

Quand Thibault passait des entretiens pour rejoindre un cabinet de Conseil réputé, il se souvient s’être senti accompagné par les équipes de recrutement : par des petits mots encourageants écrits sur les études de cas et grâce à des feedbacks précis et utiles.

Guillaume, quand il était candidat, avait l’impression que les recruteurs étaient là pour mettre à l’aise et pour donner un maximum d’informations. A l’inverse, il garde comme mauvais souvenirs de ces périodes certains tests flous sur leur finalité, ou la frustration d’un retour pas assez détaillé.

Chez Comet, Vigile, alors candidat, était venu 2 jours en immersion complète en fin de process. Une étape engageante à la fois côté candidat : qu’il soit en poste ou non, ce sont deux jours de vie, et côté entreprise pour organiser ces journées avec toutes les parties prenantes. Mais aussi, un bon moyen d’en avoir le cœur net, ambiance pré-période d’essai : “essayez avant de signer”.

Pyramide de Maslow du candidat

Et aujourd’hui, est-ce que les CEO participent toujours au recrutement ?

C’est bien simple, TOUS nos CEO participent encore au recrutement de leurs équipes, c’est souvent la dernière étape : le boss final – la validation du candidat avec les valeurs et la culture de l’entreprise et la promesse d’un candidat heureux, investi et productif.

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Mais ce n’est pas tout. Certains vont encore plus loin, comme Virgile, peut-être un peu nostalgique de son ancien métier de DRH chez Comet et fondateur de Figures. Pour certains postes clés comme Sales Lead, il intervient plus tôt dans le processus et a même créé le cas pratique. 

Thibault se rend aussi très disponible pour les opérations de marque employeur de Partoo.

Dans son podcast A-Players, Robin Choy demandait à Matt Stephenson combien de temps un fondateur devait passer à recruter. Sa réponse : “More time that you think you are spending” (plus de temps que ce que tu fais). Au début, en tant que fondateur, vous devez déjà définir et verbaliser vos valeurs et votre culture, accepter de faire des erreurs et vous améliorer à chaque recrutement.  Quand le temps est venu de déléguer cette mission en externe ou en interne, vous devez prendre le temps de transmettre. 

Pour Matt, il faut passer 50% de votre temps pour le recrutement de votre premier développeur, puis 30%, puis ça se compte en conversations (par mises en relation ou autre canal) : il faudrait avoir 5 conversations par semaine, donc 5 heures par semaine. A la louche hein.

II – Le recrutement est un levier de performance de l’entreprise

Les indicateurs 

Première information importante : tous ne demandent pas d’indicateurs à leurs recruteurs. 

Pour Virgile, la mise en place d’indicateurs est un objectif à moyen terme avec un peu plus de maturité. 

“On ne fonctionne pas aux indicateurs” Toinon chez Walaaxy

Mais il attend de son équipe que le processus de recrutement soit rechallengé en permanence pour être le plus efficace possible : “amener au bout de process des candidats pertinents pour la culture et pour le poste”.

Pour ceux qui suivent les indicateurs, et la tendance veut que les chiffres deviennent indispensables dans les RH aussi, on a les classiques, la sainte trinité des KPIs : 

  • Nombre de personnes recrutées 
  • Temps pour recruter 
  • Taux de conversion 
KPI de recrutement

On trouvera aussi pour nourrir un besoin croissant de data en RH :

  • les nouveaux : NPS Candidat et autres indicateurs de ressenti des candidats ;
  • les indicateurs relatifs selon que le poste soit volume ou non pour comparer ce qui est comparable ;
  • les indicateurs d’efficacité long terme : taux de validation de période d’essai, attrition…

Chez Partoo, on ne pense pas qu’aux recruteurs, les managers aussi sont impliqués et incentivés pour recruter vite et bien. 

Ils ont un objectif global divisé entre le nombre de personnes de l’équipe. Donc plus ils sont nombreux (= plus les équipes sont complètes), plus l’objectif est “facile” à atteindre ! 

Pour aller plus loin sur les indicateurs de recrutement, j’ai discuté avec Sarah Jallot, data scientist spécialisée en data RH pour le fonds Teampact Ventures. 

Elle a créé une grille de 70 indicateurs pour s’assurer que les entreprises dans lesquelles le fonds investit sont suffisamment People first, c’est-à-dire qu’elles sauront attirer, recruter et garder les meilleurs talents pour nourrir leur performance.

Cette grille aborde 5 dimensions : intentionnalité du Leadership, stratégie des talents (du recrutement au développement de compétences), engagement des employés (empowerment), RSE et impact global de la startup par son business model (mission). Concernant les deux dernières dimensions: Teampact a la conviction que les entreprises qui pensent leur impact social et sociétal ont un avantage compétitif de taille dans la guerre des talents.

Les indicateurs permettant de remplir la grille sont récupérés à partir d’entretiens incluant les équipes, d’interviews concernant les pratiques de la société, et de KPIs définis à l’avance Ces KPIs sont ensuite benchmarkés par Teampact par rapport à l’ensemble des data points déjà observés. 

Enfin, les pré-requis de ces 70 critères varient selon la taille de l’entreprise. 

En phase de post-investissement, cette grille sert à affiner un plan d’actions adapté pour devenir encore plus people first.

C’est peut-être un détail pour vous, mais pour la performance, ça veut dire beaucoup

C’était ma dernière question, qui peut avoir l’air très terre à terre, mais méfiez-vous, on apprend beaucoup sur la considération et l’importance stratégique d’un département. 

Même en ces temps hybrides.

Chez Figures, le recruteur est en full remote, mais Virgile m’a précisé que quand il était recruteur tech chez Criteo, il était avec les développeurs, avant d’être rapatrié avec ces “congénaires” recruteurs et RH.

Chez Walaaxy, le recruteur est sur le même îlot que la direction et la partie administrative.

Chez moka, le recrutement est avec le pôle RH, alors que chez Partoo, il est à côté du marketing et de la stratégie.

Pas de service de recrutement en sous-sol à côté des toilettes chez nos interviewés donc.

gif recruteur

Quand recruter son premier recruteur ?

Plus l’entreprise croît vite, plus elle va recruter et donc plus il est important de recruter pour tenir les objectifs. 

objectif de recrutements

Et ça, nos CEO l’ont bien compris, sous peine de se retrouver comme Amazon qui prévoit une baisse de la croissance attendue à cause de problèmes de recrutement. 

“Les bons recrutements font la croissance” Thibault Renouf, Partoo

La plupart des interviewés ont recruté leur premier recruteur (avec parfois des fonctions RH) dès le quinzième collaborateur. 

Dès que l’impression qu’on ne fait plus assez bien, qu’on n’a plus le temps, qu’il faut professionnaliser et optimiser pour suivre la cadence des recrutements. Et affirmer sa marque employeur.

Ainsi, Guillaume, qui n’avait jamais recruté quelqu’un avant de créer moka, avait suivi scrupuleusement la méthodologie de la Who interview, jusqu’à ce que ça ne lui suffise plus.

La deuxième raison de recruter un recruteur dont on parle beaucoup moins mais qui est essentielle est d’avoir quelqu’un qui pourra former les autres au recrutement. Si vos hiring managers ne sont pas formés à recruter : l’expérience candidat sera mauvaise et les erreurs de recrutement seront plus nombreuses.

Chez Partoo, une DRH a d’abord été recrutée avant le recrutement de la première recruteuse à 40 collaborateurs.

“Pour mettre un peu d’expertise” Benoît Dubos, Scalezia

Historiquement centre de coûts, pour Thibault, le recrutement n’en est plus une, mais n’est pas non plus un centre profit, c’est “une fonction transverse indispensable pour scaler”.

Si on en croit cet article de Welcome to the Jungle, nos CEO interrogés s’y mettent bien plus rapidement que la moyenne. “Dans les petites et moyennes entreprises de moins de 80 salariés, rares sont également les cadres spécialisés dans la fonction RH.”

III – Le recrutement est un levier de Culture de l’entreprise

Transmettre la Culture est une des missions du pôle recrutement 

La première mission du pôle recrutement, sans surprise, est de recruter.

Puis deux grands axes ressortent : 

  1. Diffuser et maintenir les valeurs et la culture impulsée par les fondateurs
  2. Apporter méthodologie et expertise dans la diffusion des offres, l’attraction et la sélection des candidats.

Pour Guillaume, le rôle du recrutement chez moka est encore plus subtil : c’est la recherche d’une relation équilibrée : “il faut trouver la bonne adéquation entre ce à quoi les candidats aspirent et ce que tu peux offrir”.

Adapter son parcours de recrutement à sa Culture

Si le parcours de recrutement doit représenter les valeurs et la culture de l’entreprise, on peut supposer que chaque parcours est unique.

Tous les parcours des entreprises ont en effet au moins un élément particulier, et c’est intéressant de voir qu’aucun CEO ne s’était dit en amont : “tiens, comment je peux faire différemment”. La particularité de chaque parcours est une conséquence concrète de chaque culture et non l’inverse.

Chez Figures, le ton décalé et millième degré a été poussé à son paroxysme (jusqu’à la prochaine fois) avec la sortie de cette vidéo corporate qui a fait le buzz sur Linkedin. Avec deux conséquences : 

  1. Ceux que cette vidéo ne fera pas rire ne seront sûrement pas heureux et épanouis chez Figures (discriminante, dans le bon sens)
  2. Des talents en poste ont postulé (attraction des profils recherchés)
video de recrutement de figures

Chez moka, Guillaume a mis en place le reverse interview pour rééquilibrer la relation et les échanges entre l’entreprise et le candidats. Le candidat va échanger avec l’un des co-CEO Guillaume ou Pierre-Étienne Bidon, et poser toutes ses questions avant de prendre sa décision. 

Attention, ici pas question d’évaluer le candidat sur les questions qu’il pose car l’offre est déjà sur la table.

Chez Walaaxy, Toinon a mis en place de pré-onboarding ou journée découverte, après envoi de l’offre, donc là aussi, le dernier mot est entre les mains du candidat.

Chez Scalezia, ça intervient plutôt à l’onboarding mais c’est intéressant à savoir, chacun rassemble dans un notion son personal manual user ou mode d’emploi individuel : comment je travaille, comment me donner du feedback… Des clés utiles pour commencer la collaboration directement du bon pied.

Chez Partoo, l’Employer Value Proposition est disponible sur le site et envoyée aux candidats qui entrent dans le processus, un bon moyen de se présenter, de partager sa culture et de donner un maximum d’informations.

evp de partoo

Si vous réfléchissez aussi à votre EVP, voici un outil gratuit pour vous aider.

construire son EVP Yaggo

Tu veux que les candidats pensent quoi de ton entreprise à la fin du parcours ?

Et à la fin, il n’en restera qu’un !

koh lanta gif

C’est sûr, mais quel est le souvenir qu’on veut laisser à tous les autres ? 

Ce petit arrière-goût de culture qui restera ?

Pour Toinon, le souvenir laissé doit être “la dinguerie” de Walaaxy. Leur mantra sur la journée de pré-onboarding est : “en rentrant chez lui, le candidat doit appeler sa mère pour lui dire maman, j’ai eu une journée dans ma nouvelle boîte aujourd’hui, ce sont des oufs”.

Pour Virgile, c’est le temps et l’écoute au service du candidat et de son expérience : “qu’ils aient eu du feedback, autant de temps de possible pour poser des questions.”

Pour Benoît, le souvenir d’un bon moment : “j’ai kiffé l’échange”, quelle que soit l’issue.

Pour Thibault, il est hyperimportant de laisser une bonne image de l’entreprise via chaque interlocuteur, montrer que Partoo est une boîte de gens bien.

Enfin, Guillaume veut que le candidat à la fin soit heureux : s’il est pris et s’il n’est pas pris, car il aura eu toutes les informations pour savoir que moka n’est pas la bonne entreprise pour lui à ce moment-là. Toujours cette envie d’équilibre et d’harmonie, un peu idéaliste peut-être mais un objectif vers lequel tendre.

Si vous vous penchez sur l’expérience que vous proposez à vos candidats, voici un modèle Canvas spécial Expérience Candidat pour prendre un peu de hauteur.

modele canva EVP

Conclusion 

Premiers recruteurs, nos CEO de start-ups en forte croissance ont rapidement posé leur culture et leurs valeurs dans les processus de recrutement. Puis ils ont rapidement recruté un expert en recrutement, garant de la qualité du parcours, de son efficacité, mais aussi de la transmission des valeurs et de la Culture de l’entreprise.

Leur implication, souvent en dernière étape, à 20 ou 400 salariés, permet de motiver et d’intégrer rapidement les nouvelles recrues, de vérifier que les valeurs sont claires, et d’éviter les erreurs de casting.

S’investir et investir tôt dans le recrutement, c’est en faire un levier de croissance ou en tout cas ne pas en faire un frein, mais c’est surtout en faire un levier de Culture.

Je vous vois venir : “Oui mais en 2023, il y aura probablement moins de volumes de recrutement, donc est-ce qu’il faut continuer à s’impliquer dans le recrutement ?”

Si on suit la tendance des Etats-Unis, oui les besoins vont baisser en volume, mais pas question de relâcher les efforts : la guerre des talents va continuer, et les attentes des candidats vont se renforcer. 

On le voit bien avec les nouvelles expertises et positions qui arrivent dans la fonction recrutement : Recops, Candidate Care Expert, Responsable Expérience Candidat…