Salesforce, longtemps reconnu comme l’un des CRM les plus influents, connaît une transformation remarquable, en partie catalysée par son acquisition audacieuse de Slack. Mais peut-on encore le considérer comme un simple CRM ?

Qu’est-ce qu’un CRM et pourquoi Salesforce n’en est plus un ?

Selon Salesforce: le CRM ou gestion de la relation client (Customer Relationship Management) est une stratégie de gestion des relations et interactions d’une entreprise avec ses clients ou clients potentiels. Un système CRM aide les entreprises à interagir en permanence avec les clients, à rationaliser leurs processus et à améliorer leur rentabilité.

Lorsqu’ils parlent de CRM, les gens font généralement référence à un système CRM, outil utilisé pour la gestion des contacts, des ventes, la productivité et bien plus encore. L’objectif d’un système CRM est simple : améliorer les relations commerciales.

Aujourd’hui donc lorsqu’on parle de CRM, on fait référence à tout système centralisant l’information des clients et des prospects d’une entreprise, système continuellement mis à jour par l’ensemble des personnes en relation avec les clients (CSM, AM) et les prospects (BDR, Sales) afin d’améliorer les relations commerciales.

On observe une diminution de la saisie manuelle directe dans Salesforce. Les BDR, Sales, AM et CSM se tournent de plus en plus vers des outils tiers, souvent intégrés nativement à Salesforce. Ces outils fournissent désormais la majeure partie, voire la totalité, des informations à Salesforce.

Il est désormais complexe de considérer Salesforce comme un véritable CRM, car il n’est plus le système principal permettant de renseinger les informations des prospects et clients. Au lieu d’améliorer les relations commerciales, il semble souvent les entraver. La mise à jour de Salesforce est devenue laborieuse et son interface utilisateur de moins en moins intuitive.

Salesforce est devenue une data warehouse, un CDM

L’input (le renseignement de l’information) ne se fait plus dans Salesforce mais dans des outils tiers. Ainsi désormais Salesforce n’a pour fonction que de centraliser la donnée, d’être le single source of truth, autrement dit une sorte de data warehouse avec un peu de data visualisation. 

Digression sur la structure et le rôle des équipes data aujourd’hui

Aujourd’hui les fonctions data d’une entreprise sont souvent divisées en deux catégories: 

  • L’équipe Data Product qui par définition est rattachée à l’équipe Produit ou l’équipe Technique par extension. Cette équipe a pour mission d’analyser les données liées au produit, l’adoption des clients à telle ou telle feature par exemple.
  • L’équipe Data Revenue, quant à elle, est rattachée au CRO ou au CEO, et a pour mission d’analyser l’ensemble des données liées à la performance de la chaîne de revenue (Marketing, Sales, CSM, Services). Souvent, ce rôle est assuré par les équipes Revenue Operations plutôt qu’une équipe dédiée (voir l’article: Comment utiliser la donnée pour améliorer la performance des commerciaux?).

L’équipe Data Product se distingue de l’équipe RevOps (Data Revenue) par la gestion du temps. La première a une vision à long terme, tandis que la seconde est orientée vers le court terme. Il est moins urgent d’analyser le comportement des clients sur une fonctionnalité que de surveiller le pipeline d’un nouveau pays.

Une équipe RevOps doit continuellement arbitrer entre agir rapidement (“Get Things Done”) et agir correctement (“Get Things Right”) pour analyser et décider avant qu’il ne soit trop tard.

Dans ce contexte, la plupart des équipes RevOps utilisent Salesforce comme source principale de données pour réaliser la majorité de leurs analyses après en avoir assurer la qualité via la mise en place de processus internes.
(Parfois ces données sont poussées dans une datawarehouse et les équipes utilisent des outil de Business Intelligence (Looker, Tableau) ou de Data Visualization pour réaliser leurs analyses mais cela nécessite d’avoir assez de personnes en interne pour maintenir les bases de données ainsi que les reports / dashboards dans ces outils qui sont plus complexes)

Ainsi Salesforce est plus utilisé comme une base de données (plus visuelle) et c’est pour cela qu’on serait tenté de dire que Salesforce est devenu un CDM (Customer Data Management)

Comment Salesforce est désormais alimenté

Au sein d’une entreprise aujourd’hui, de moins en moins de personnes utilisent directement Salesforce pour renseigner des informations de leurs clients et prospects car une multitude d’outils a été créé autour de Salesforce pour récolter ces informations.

L’input (le renseignement de l’information) ne se fait plus dans Salesforce directement mais dans des outils tiers. 

  • BDR – ils utilisent quotidiennement les plateformes de ‘Sales Engagement’ (Salesloft, Outreach, Lemlist par exemple) pour réaliser leur prospection. L’ensemble des actions et des activités (calls, emails, création d’opportunité) est automatiquement renseigné / réalisé dans Salesforce sans l’input du BDR dans Salesforce (ou de façon très succincte pour ajuster certaines informations d’une opportunité nouvellement créée).
  • CSM – côté client des plateformes de ‘Customer Success’ (ChurnZero, Gainsight, Vitally par exemple) permettent d’établir des scores de santé et de réaliser des QBRs avec les clients. Ces informations sont également synchronisées dans Salesforce.
  • Sales – si les plateformes de Sales Engagement et de Customer Success sont très présentes dans les tech stack aujourd’hui, c’est beaucoup moins vrai pour les plateformes à destination des équipes sales. Mais ces solutions sont en train de prendre une place de plus en plus centrale au point de devenir les nouveaux CRM.

Quels sont ces nouveaux CRM à destination des commerciaux?

Des nouvelles solutions à destination des Sales sont en train de voir le jour et on distingue deux catégories:

  • Pipeline Management Solutions (Scratchpad, Clari)
    Ces solutions permettent de rapidement visualiser l’ensemble des opportunités d’un sales, d’une équipe ou d’une région dans une sorte de tableau.

Ces solutions ont deux fonctionnalités clés:

  • La mise en forme permettant de détecter des oublis ou des erreurs (champs non renseigné, close date dans le passé). 
  • L’intégration native avec Salesforce permettant d’updater en temps réel Salesforce pour gagner du temps car l’update est souvent fastidieuse dans Salesforce.
    Même si depuis l’inline editing dans les rapports a été développé (le fait d’updater des champs directement dans un rapport), elle n’est pas disponible pour tous les types de champs.

Plus globalement, ces solutions permettent aux sales d’updater plus rapidement et plus facilement Salesforce, et aux managers d’avoir une meilleure visibilité sur les deals en cours et d’être plus précis dans leur Forecast.
Certaines solutions comme Clari proposent également un scoring des opportunités en cours pour aider les sales managers et les équipes RevOps sur ce sujet.

  • Customer Engagement Platform / Dealroom Solutions (Slack, Topo.io, Rattle)
    Ces solutions permettent de créer des mini-capsules entre un prospect ou un client et les personnes de l’entreprises impliquées dans le sales process (sales, manager, legal, solutions engineer etc.)

Le rachat de Slack par Salesforce prend désormais tout son sens. Avec Slack, Salesforce souhaite utiliser le service de messagerie le plus utilisé par l’écosystème startup pour basculer son système CRM de Salesforce vers Slack. Tout part désormais de Slack: 

  • Pour récupérer les inputs des Sales
  • Pour interagir avec les prospects et les clients via la création de mini-capsule (sales <> prospect, csm <> client) 
  • Pour collaborer en interne sur un deal (création d’un slack channel pour toute opportunité après un certain stage dans le sales process par exemple)

Slack a dévoilé sa dernière mise à jour du Workflow Builder. Cette nouveauté renforce le rôle central de Slack dans les organisations, améliorant sa connexion avec la revenue tech stack (Salesforce évidemment, mais également n’importe quelle application développée en interne).

Outre Slack, plusieurs solutions se positionnent sur le sujet des deal rooms, certaines en conservant Slack comme système central (Rattle), d’autres en créant des espaces dédiés (Topo.io, GetAccept, Trumpet). 

Ils vont élaborer des modules web pour interagir avec un prospect durant le processus de vente ou avec un client pendant la durée de son contrat. Ces modules centralisent les informations (démo, décideurs, fonctionnalités, aspects légaux, etc.) pour faciliter la navigation, particulièrement dans les ventes complexes notamment pour les contrats Enterprise, et permettre de maintenir la dynamique et le momentum dans des cycles de vente de plus en plus étendus.

L’avenir du CRM

Salesforce a toujours été perçu comme le saint Graal pour tout ce qui touchait à la gestion client. L’ascension du rôle de Revenue Operations a mis en lumière deux choses: la nécessité de mettre en place des processus standardisés et le pouvoir décisionnel des données. Dans cette optique, il n’était plus question de se contenter d’un simple répertoire de données clients.

À mesure que la technologie a progressé et que les équipes ont continué à toujours plus se spécialiser (voir l’article: SalesOps, RevOps: que sont ces nouveaux métiers?), les entreprises ont naturellement pivoté vers une approche “best of breed” (lien vers l’article de Lauriane Potin à ce sujet). Elles ont cherché à obtenir le meilleur outil pour chaque tâche spécifique. Cela signifie des solutions hyper-spécialisées pour chaque équipe : des plateformes d’engagement pour les SDR/BDR, des outils de prévision et de gestion des deals pour les équipes de vente, des plateformes d’anticipation du churn pour les CSM/AM. Ces outils, plus adaptés et ergonomiques, se sont naturellement imposés dans le quotidien des équipes.

Cette évolution a fait évoluer le rôle d’un outil comme Salesforce. Sa force est devenue la centralisation. Presque toutes ces nouvelles solutions peuvent se connecter à Salesforce, faisant de ce dernier le point central de l’entreprise d’un point de vue revenue.  

Il est donc aujourd’hui davantage un CDM, une base de données robuste pour les RevOps, qu’un simple CRM de saisie de données.

Finalement, le CRM nouvelle génération est à un moment charnière de son histoire et une multitude d’acteurs tentent de redessiner le paysage et la manière dont les équipes interagissent entre elles et avec leurs clients ou prospects. Salesforce en première ligne avec l’acquisition de Slack mais également l’ensemble des Customer Engagement Platforms autour tout particulièrement de la nouvelle hype des deal rooms.

Note: Merci à Charles Tenot pour son brainstorming précieux