Je ne peux pas commencer un article sans mettre un minimum de contexte et de définition, surtout quand le premier mot du titre de l’article n’est pas (encore) dans le Larousse. 

“Scaler” est un terme emprunté de l’anglais (scale = échelle) qui désigne la capacité d’une entreprise à se développer à grande échelle. Pour une start-up, c’est le passage de la jeune pépite prometteuse, à la grosse machine bien huilée (mais toujours innovante et en forte croissance).

Plus concrètement, voici des ordres de grandeur pour bien comprendre le passage de start-up à scale-up :

Différence entre start-up et scale-up

Réussir cette phase de scale est un vrai challenge (Lire absolument Start to scale de Thibault Renouf). On peut dire que la réussite de cette phase de scale tient à plusieurs éléments :  

  • la qualité de son produit ;
  • la vision du CEO ;
  • l’atteinte des objectifs de son équipe commerciale (bien aidée par le marketing) et la qualité du service client ;
  • la qualité du recrutement et de l’accompagnement des collaborateurs dans cette période de changement constant ;
  • mais aussi, et c’est le sujet de cet article, bien gérer les finances !

J’ai eu la chance de vivre cette phase passionnante chez Partoo. J’intègre l’entreprise en septembre 2020, quelques mois après son rachat par Webedia. Les besoins en Finance augmentent, et Clément Bouillaud, CFO à l’époque, décide se concentrer sur les Opérations. Le premier jour, il m’annonce la couleur : “J’ai été le CFO de Partoo de 30 à 100 personnes, ta mission c’est de faire le passage de 100 à 500 personnes”. 

Par où commencer ? Comment créer une équipe Finance taillée pour le scale ? Quels process mettre en place ? Comment prioriser ? Comment communiquer avec les actionnaires, les CEO (il y en a deux chez Partoo), les managers ? Je vais tenter avec cet article de vous partager tous mes apprentissages sur cette période.

Les grands thèmes qui seront abordés dans cet article : 

  1. Avoir une vision sur 3 ans
  2. Construire et structurer l’équipe Finance
  3. Optimiser les process financiers (Finance Ops)
  4. Améliorer les reportings, budgets et forecasts (FP&A)
  5. Prendre ses responsabilités concernant la gestion de la scale up

🚨 Disclaimer : cet article ne prétend pas être LA solution pour scaler la Finance. Il y a forcément des partis pris, des décisions et prises de position qui ne concernent que moi, mais qui peuvent sans doute faire gagner du temps aux CFO, Finance manager et entrepreneurs qui traversent ou qui vont traverser cette phase critique pour leur entreprise.

1. Avoir une vision à 3 ans

La définition d’une vision claire est une étape essentielle pour vous, pour la motivation de votre équipe et pour la confiance de votre CEO. 

Cela ne s’applique évidemment pas seulement à la Finance, mais à tous les services d’une scale up. Il faut savoir où vous allez, pourquoi vous y allez et comment vous y allez

Le costume n'est pas obligatoire

3 ans me semble être un horizon de temps adapté pour une scale up pour définir les grandes lignes de votre vision (même si cette vision va évoluer au cours de ces 3 ans), mais je vous conseille de décliner cette vision en OKR annuels et trimestriels. 

Vision, Objectifs, OKR

La vision que vous allez définir dépend de 3 facteurs :

  • de la vision des dirigeants de votre entreprise : vous n’allez pas être en opposition à la leur (ou alors il faut changer de boîte tout de suite 😀) ;
  • des objectifs fixés pour la scale up, notamment en terme de croissance ;
  • et des moyens à disposition 💰

Je vous partage ma vision de la Finance chez Partoo : 

Les premiers mois après mon arrivée, ma vision de la Finance chez Partoo était la suivante : “Construire une Direction financière efficace et fiable, mais avec moins de ressources que les autres scale up”. Lors des premiers mois chez Partoo, j’ai échangé avec des dizaines de CFO d’autres scale up et les organigrammes me paraissaient bien chargés. Même avec Webedia au capital de Partoo, nous avons gardé cette philosophie de boîte autofinancée, avec une prudence dans l’engagement de nos dépenses, et cela se ressent forcément dans la construction des équipes. Selon moi, même avec une équipe assez restreinte, cela n’allait pas nous empêcher d’avoir une production financière de grande qualité, car on allait prioriser les projets avec le plus d’impacts. Cela a plutôt bien fonctionné les premiers mois (12 à 18 mois).

Puis j’ai changé de stratégie et de vision. En 2022, nos 2 CEOs communiquent de plus en plus sur le fait que Partoo ambitionne de faire 100M€ d’ARR à horizon 2025. Dans le même temps, notre présence à l’international explose et complexifie la gestion de Partoo (nos process de facturation, de cash collection, nos reportings etc…). Ma vision devient “Faire évoluer la Direction financière comme Business Partner des CEOs et des managers de Partoo”. Nous devons être au service du business, en anticipant et en répondant aux besoins des équipes commerciales et opérationnelles, tout en aidant davantage les CEOs dans les prises de décision stratégiques. Cela passe donc par une augmentation de la taille de l’équipe Finance avec le recrutement de nouveaux talents, qui vont permettre une augmentation de la production financière (plus d’analyses financières, plus de détails dans nos reportings, une récurrence d’analyse plus importante etc…).

2. Construire et structurer l’équipe Finance

La grande majorité de ce qui a été accompli dans le département Finance de Partoo l’a été par d’autres personnes que moi. Le recrutement de pépites et leur accompagnement doit être votre priorité absolue.

a. Qui et quand recruter ?

Le recrutement en Scale up est un vrai défi car vous recrutez pour des postes qui vont évoluer de manière significative. 

En plus de recruter des personnes qui ont des bases solides dans leur domaine, qui “fit” avec la culture de l’entreprise, ses valeurs et ses équipes, je vous conseille d’attacher une attention particulière aux caractéristiques suivantes : résilience, débrouillardise, pas peur du changement, appétence pour le management, curiosité et envie d’apprendre

Par exemple, si vous recrutez pour un premier poste de FP&A (Contrôleur de Gestion), vous allez gagner un temps fou si vous recrutez quelqu’un qui peut évoluer sur un poste de management car il/elle ne va pas rester seul.e très longtemps dans son équipe. Aussi, la structure des reportings, forecasts, budgets va évoluer régulièrement, donc il faut recruter quelqu’un qui n’a pas peur de déconstruire pour reconstruire

Concernant le timing du recrutement, le “quand recruter”, ayez une visibilité claire sur votre organigramme à 18 mois (Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’article Comment définir vos besoins de recrutement ?). Recruter un profil comme je le décris dans les paragraphes précédents peut prendre du temps (par exemple 6 mois entre le lancement du recrutement et son arrivée dans l’entreprise). Anticipez.

⛔ La chose à ne jamais faire : recruter rapidement une personne qui ne nous a pas totalement convaincue pour combler une urgence opérationnelle immédiate. Tout le monde va le regretter. Cela semble une évidence mais ça ne fait pas de mal de le préciser.

Je vous partage l’organigramme de mon équipe à différente phase de développement de Partoo : 

Equipe Finance en 2020 : 3 personnes

Partoo compte environ 120 collaborateurs et 8M€ de revenus annuels

En 2020, à mon arrivée, la structure de l’équipe est très simple :

  • Un.e stagiaire s’occupe de la facturation de nos clients ;
  • Chloé (spoiler alerte, elle managera une équipe de 6 personnes 3 ans plus tard 🚀) supervise le stagiaire et gère en plus la comptabilité courante (rapprochement bancaire, règlement fournisseurs…), l’administratif, et certains éléments du reporting ;
  • Et pour ma part, je reprends le reporting financier, le budget, le juridique, gère la relation avec les actionnaires, le commissaire aux comptes et surtout je commence à optimiser nos process financiers.

Equipe Finance en 2021 : 4 personnes

Partoo compte environ 200 collaborateurs et 14M€ de revenus annuels

Les besoins sont relativement limités puisque nous avons un seul type de clients (Enterprise, i-e Grands Comptes) et une implantation internationale encore minoritaire. L’équipe est construite selon ma vision “on peut faire beaucoup avec peu”. Nous aurions quand même pu être 2 personnes de plus sans que personne ne s’ennuie.

Je recrute Julien, le premier FP&A Analyst qui va m’aider sur toute la partie finance analytique (amélioration des reportings, forecasts…). La partie Finance Ops englobe à la fois la facturation et le cash collection de nos clients Enterprise, la gestion au quotidien de toutes nos dépenses, la relation avec nos experts comptables (dans 2 pays, France et Espagne) pour les déclarations fiscales, et du soutien administratif. 

Organigramme équipe Finance 2021

Equipe Finance & Legal en 2022 : 9 personnes

Partoo compte environ 350 collaborateurs et 22M€ de revenus annuels

2022 est l’année où les changements sont les plus importants chez Partoo :  

  • On se lance sur le marché des SMBs (les commerçants indépendants qui ont entre 1 et 10 points de vente) avec une offre commerciale, des contrats clients, une façon de facturer et de collecter les paiements totalement différente des Grands Comptes. C’est comme si on lançait une nouvelle boite ;
  • On fait l’acquisition d’une autre startup, Pulp, avec les implications financières que vous imaginez (due diligence financière lors du rachat, revue du Business plan, intégration des process financiers…) ;
  • On éclate les compteurs à l’international avec l’ouverture de dizaines de pays simultanément (Inde, Mexique, Arabie Saoudite….)

Les besoins en termes de Finance & Legal explosent à tous les niveaux. D’un SaaS B2B assez classique et “simple” à gérer (toute proportion gardée), on passe à une multinationale avec des multiproduits, et toujours en hyper croissance. Je recrute Camila, la première Legal Manager, avec sans doute 6 mois de retard, mais c’est un très bon profil. Le département FP&A est renforcé avec l’arrivée de Florian, et le département Finance Ops est réorganisé et renforcé avec l’arrivée de Beverly. On recrute aussi 3 stagiaires qui vont tous avoir un scope différent : 

  • un pour la gestion de nos dépenses ;
  • un pour la facturation et le cash collection de nos clients Enterprise ;
  • un pour le cash collection de nos clients SMBs. 
Organigramme équipe Finance 2022

Mieux qu’un organigramme, voici l’équipe en septembre 2022 lors du séminaire Partootatis au Parc Astérix.

Equipe Finance en 2022

Equipe Finance & Legal en 2023 : 13 personnes

Partoo compte environ 450 collaborateurs et 30M€ de revenus annuels

Après une année 2022 basée sous le signe de l’investissement et de nouveaux projets, 2023 est une année de consolidation. Pour autant, l’expansion à l’internationale continue et Partoo reste en forte croissance. 

Organigramme équipe Finance 2023

b. Comment évolue le scope du CFO ?

On pourrait découper le quotidien d’un CFO en 3 parties : 

  • Opérationnelle : production financière (reporting, forecast, budget…), mise en place de nouveaux process et d’outils, cash management, suivi cap table… 
  • Management : recrutement et accompagnement des équipes. 
  • Communication : présentation financière auprès des actionnaires, du Comex/Board, des managers, des équipes…

Plus l’équipe s’agrandit, plus la part opérationnelle va diminuer dans le quotidien du CFO, au profit du management et de la communication. 

Quel que soit le nombre de personnes dans son équipe, le CFO devrait selon moi toujours garder l’ownership sur le suivi du cash (c’est votre bébé, et il ne se partage pas), et intervenir dans la construction des Budgets, même si votre équipe FP&A fait un travail formidable.  

Je suis passé d’une équipe de 3 à 13 personnes en 3 ans. Mon quotidien a donc constamment évolué.

3. Optimiser les process financiers (Finance Ops)

Gérer la finance d’une scale up, ce n’est pas seulement faire des beaux tableaux de reportings et des business plan ambitieux. C’est avant tout gérer des problématiques opérationnelles en constante évolution : comment facturer nos nouveaux clients au Portugal, en Inde, au Brésil… ? Comment réussir à assurer un contrôle sur les recrutements quand tu doubles tes effectifs en 1 an (200 à 400 personnes par exemple) ? Comment permettre aux managers de suivre leur budget facilement ? 

Je vais revenir ici sur les process financiers les plus marquants chez Partoo. Ils ont été construits et implémentés pour répondre aux enjeux de Partoo. Ils ne sont évidemment pas transposables à tous les business mais ils peuvent vous apporter une idée de ce qu’il est possible de faire pour scaler.

a. Comment optimiser la facturation et le cash collection ?

L’objectif ici est simple : encaisser vos clients le plus rapidement possible. Améliorer le fameux BFR. 

Prenons un exemple pour comprendre les enjeux : si un nouveau process de facturation vous permet de gagner 10 jours en moyenne dans l’encaissement de vos clients, en supposant que l’entreprise n’est pas encore rentable et que votre volume de facturation annuelle est de 20M€, vous aurez besoin de 500K€ de financement en moins pour faire tourner le business (et donc besoin de moins lever d’argent). Dans un contexte où l’argent n’est plus gratuit, ce n’est pas négligeable. 

Pour encaisser vos clients plus rapidement, il y a deux principaux leviers : 

  • facturer plus rapidement (en améliorant les process) ;
  • trouver la bonne cadence de relance pour les clients qui ne payent pas à l’échéance.

Le sujet sera traité de manière totalement différente en B2C, B2B Enterprise (panier moyen 20K€/an) ou B2B SMBs (panier moyen inférieur à 1K€/an).

En B2B Enterprise/Grand Compte (panier moyen de plusieurs milliers d’euros, facturation annuelle)

L’automatisation de la facturation et des relances à un coût très important car les contrats sont complexes et assez hétérogènes (les délais de règlement client ne sont pas toujours les mêmes, tout comme les cadences de facturation, des clients peuvent demander à être facturés sur plusieurs entités juridiques différentes…). L’enjeu sera de savoir à partir de quand vous devez passer d’une facturation et relance client “manuelle”, à un process automatisé. Si vous passez le rythme de 1000 factures envoyées par an, la question doit sérieusement se poser, surtout si vous anticipez une très forte croissance. 

Revenons à vos deux options : 

  • Facturer et relancer “manuellement” : la clé, c’est la rigueur. Dans la mesure où il n’y a pas de lien entre votre CRM (qui gère le cycle de vente et qui contient les informations du deal) et votre logiciel de facturation, l’erreur de saisie est possible. Une erreur de saisie (montant, adresse de facturation, entité juridique, délai de paiement…) c’est un client mécontent, la génération d’un Avoir pour annuler la facture erronée, la génération d’une deuxième facturation rectificative, du temps perdu par l’équipe ADV (Administration des Ventes, en charge de la facturation) et des jours de BFR perdus donc du cash à financer. Exigez donc une grande rigueur à vos équipes pour la facturation. La relance client doit avoir la même philosophie : être rigoureuse et méthodique. Par exemple, envoyez un mail plutôt friendly quand l’échéance est dépassé de 2 jours, puis un mail de relance plus factuel à 10 jours de retard, changement d’interlocuteur à 15 jours (le premier contact est peut être en vacances ou a quitté l’entreprise), courrier à 30 jours, mail de prévention avant passage en recouvrement à 60 jours et société de recouvrement à 90 jours. Ce n’est qu’un exemple et vous pouvez avoir un rythme de relance totalement différent selon votre business.
  • Automatiser : c’est un projet long et coûteux. Si votre CRM s’appelle Salesforce, vous avez des extensions Salesforce Billing ou Sofacto qui vous permettront d’automatiser. Vous serez accompagné dans toute la phase d’implémentation par la solution que vous aurez choisie. Le passage à un ERP peut également être une solution.

En B2B SMBs (panier moyen de quelques dizaines/centaines d’euros, facturation mensuelle)

L’automatisation est une obligation. N’acceptez ni les virements, ni les chèques, tout doit se passer en CB ou prélèvement automatique. Vos outils de facturation, de gestion des paiements et de relance doivent être interconnectés. 

Je vous partage ce que nous avons mis en place chez Partoo dès que nous avons décidé de nous lancer sur le marché des SMBs. Contrairement à nos clients Enterprise qui sont facturés annuellement (pour la grande majorité), nos clients SMBs sont facturés tous les mois. Le volume de facturation n’est donc pas du tout le même et l’automatisation est donc indispensable.

Stack outils revenus SMBs

Ces 4 outils forment un tout, interconnecté et automatisé. Le paramétrage de ces outils n’a pas été simple, et je ne peux pas le détailler dans cet article, mais le résultat est très satisfaisant. 

Le dernier avantage d’accélérer la facturation et le cash collection, c’est de réduire les impayés. Une facturation et des relances qui trainent dans le temps augmentent les risques d’impayés. Votre client peut par exemple se retrouver du jour au lendemain en redressement judiciaire (ou liquidation), et vous pourrez (presque) dire adieu à votre créance. 

b. Comment optimiser le suivi des recrutements ? 

Pour un SaaS BtoB, la masse salariale représente environ 80% de ses charges. Le suivi des recrutements est donc un enjeu prioritaire pour le respect de votre budget et de votre cash burn. Ce suivi est plutôt simple quand vous passez de 10 à 20 personnes. L’information circule facilement et les prises de décision sont rapides car vous êtes peu nombreux et il y a peu de managers intermédiaires. L’enjeu n’est pas le même quand vous passez de 200 à 400 personnes en 1 an. C’est ce que nous avons vécu chez Partoo en 2022. 

On pourrait simplifier la problématique en disant : “ce n’est pas si compliqué, même à 400 : tu détermines tes recrutements dans ton Budget annuel, que tu communiques à chaque manager qui devra le respecter”. 

Dans la vraie vie, ça ne se passe pas exactement comme celà : 

  • ta/ton CTO vient te voir en milieu d’année pour te dire qu’il a besoin de 2 personnes supplémentaires car la roadmap Produit vient d’évoluer ;
  • ta/ton Head of Expansion te demande le recrutement d’un Sales en plus car l’ouverture d’un pays se passe encore mieux que prévu et la demande client est là ;
  • ta/ton Head of CS et Care te demandent des recrutements supplémentaires car on dépasse nos objectifs de ventes et donc nous avons plus de clients que prévu ;

Afin de ne pas être sollicité tous les jours pour ce genre de problématiques, et surtout pour avoir une vision d’ensemble sur les impacts budgétaires, nous avons construit un fichier de suivi global de tous les recrutements de Partoo, avec un process clair pour le déclenchement de recrutement “hors Budget”.

Ce fichier que nous avons appelé “Staffing Forecast” a les caractéristiques suivantes : 

  • Il est en accès libre à tous les managers de Partoo qui doivent effectuer des recrutements au cours de l’année ;
  • Il reprend tous les recrutements validés dans le Budget. Chaque manager a donc la vision à 12 mois sur les recrutements qu’il doit effectuer ;
  • Il est mis à jour tous les mois en fonction des recrutements effectivement réalisés le mois précédent, avec un comparatif par rapport au Budget (vision réel vs budget) ; 
  • Il est dynamique : certains recrutements chez Partoo se déclenchent en fonction du nombre de clients effectivement signés. Nous mettons donc dans ce fichier les ventes réelles par région, et cela actualise automatiquement (à la hausse ou à la baisse) nos besoins en recrutements dans les équipes Care, Customer Sucess et Account manager par exemple. 
  • Les règles pour qu’un manager puisse recruter dans son équipes sont claires :
    • soit le recrutement est prévu dans le Budget ;
    • soit le recrutement est ajouté de façon dynamique et automatisé en fonction du dépassement des objectifs Sales ;
    • soit le recrutement est “hors Budget” et il aura été validé par le DRH et CFO en respectant un formulaire de demande clair et simple.

Ce staffing forecast nous a permis de garder le contrôle sur les recrutements, tout en permettant une grande autonomie à nos managers

c. Comment optimiser le suivi des dépenses (OPEX) ?

Le suivi des OPEX (Operating Expenses, c’est-à-dire les dépenses d’exploitation) doit être automatisé, relié à votre comptabilité, et accessible en temps réel aux managers qui doivent suivre un budget.  

Pour cela, nous utilisons Spendesk qui est notre outil de gestion des dépenses depuis plusieurs années (vous pouvez aussi utiliser Pleo qui est une super solution). Toutes les dépenses de Partoo sont faites avec cet outil et avec les moyens de paiement mis à disposition (carte bancaire ou virement). Chaque dépense est liée à un centre de coût (Marketing, HR, Finance, Tech…), une sous-famille de dépenses (par exemple pour le Marketing : Ads, Events, Outils automation, Webinar…) et un pays (France, Espagne, Brésil…). Cette catégorisation de chaque dépense nous permet d’avoir une comptabilité analytique en temps réel et de pouvoir construire des reportings très précis et détaillés. Mais cela permet également aux managers d’être autonomes dans l’engagement de leurs dépenses au cours de l’année, et d’avoir une vision en temps réel de la consommation de leur budget annuel.

Screenshot vidéo de présentation de la fonctionnalité “Budget” de Spendesk : 

Budget sur Spendesk

4. Améliorer les reportings, budgets et forecasts (FP&A)

En phase de scale, les reportings, budgets et forecasts financiers se complexifient naturellement alors qu’ils doivent être communiqués et compris par un nombre plus important de personnes. 

Ajouter une granularité produit ou zone géographique ne doit pas faire perdre de vue le double objectif des documents financiers : comprendre dans quelle direction va l’entreprise, et faire comprendre cette direction à toutes les parties prenantes (actionnaires, direction, managers, employés…).

a. Comment faire un Budget de scale up et comment le communiquer aux managers ?

Il y a quelques mois, je détaillais dans un long article Tribes Comment construire le Business Plan d’une startup SaaS que je vous invite à consulter si vous souhaitez approfondir ce sujet. 

Contrairement au Business Plan qui est un exercice qui projette l’entreprise sur plusieurs années, le Budget est un exercice annuel (12 mois, avec Reforecast en milieu d’année).

Le Budget a plusieurs objectifs : 

  • valider les investissements de l’entreprise auprès de notre actionnaire principal sur les 12 prochains mois ;
  • donner une orientation précise sur les principaux KPIs financiers : croissance annuelle, évolution du cash, rentabilité, coût d’acquisition etc…
  • communiquer auprès des managers les recrutements à effectuer dans leurs équipes sur les 12 prochains mois, ainsi qu’une enveloppe de dépenses pour certaines équipes (principalement pour les équipes marketing et RH).

Sans rentrer dans la technique pure et sans parler des astuces excel pour automatiser votre fichier (la documentation sur internet est assez fournie sur le sujet), voici les conseils que je peux vous donner concernant le budget d’une scale up : 

Il doit être sous forme de base de données : chaque ligne de revenus ou de dépenses doit être catégorisée. Exemple d’une architecture (simplifiée) pour chaque salarié :  

Architecture BDD Finance

Vous pouvez ajouter des colonnes pour indiquer les objectifs Sales de Jean, son salaire etc…

Dans la mesure où la scale up se caractérise aussi par son développement à l’international, cette architecture va simplifier toutes vos analyses et comparaison Budget/Réel ! Vous serez capables d’automatiser le calcul de votre coût d’acquisition, la rentabilité marché/zone/pays etc… Vos reportings devront donc eux aussi avoir la même architecture (et donc les mêmes intitulés de colonnes pour pouvoir comparer facilement le Budget et le Réel tous les mois).

Adapter votre communication à votre audience : les managers de la Scale up vont être amené.es à engager des dépenses courantes, à recruter des personnes dans leurs équipes, à proposer des augmentations salariales etc… Ils/elles sont en première ligne. La communication de “leur budget” est une étape très importante pour leur garantir une certaine autonomie.  

Le budget communiqué aux managers et son suivi va dépendre de deux facteurs : la séniorité des managers (savent-ils gérer un budget ?) et le staffing côté finance (y a t il les ressources nécessaires pour accompagner chaque manager dans son suivi de budget ?).

✅ Chez Partoo, voici ce que je communiquais : 

  • pour les managers Sales : les objectifs trimestriels (rien d’original). Suivi en temps réel sur Salesforce ; 
  • pour les managers Marketing et HR : une enveloppe d’OPEX divisée en sous catégories de dépenses (events/salons, ads, webinar, cabinet de recrutement etc…). Suivi sur Spendesk en temps réel ;  
  • pour tous les managers : les recrutements à réaliser tout au long de l’année avec le nom du poste, l’ancienneté souhaitée, et le salaire correspondant aux grilles de salaires internes. Suivi sur Gsheet avec les équipes RH et Finance, accessible en lecture seule par tous les managers ; 
  • pour tous les salariés : une politique de déplacements professionnels basée sur une charte finance/environnement claire (pas plus de X euros pour un restaurant/hôtel pour tel pays, pas d’avion pour des trajets réalisables en train en moins de 6h etc…). Suivi sur Spendesk et TravelPerk puis Navan. 

❌ Et voici ce que je ne communiquais pas : 

  • les revenus prévus dans le Budget, qui sont différents des objectifs Sales. J’avais une variable “% target sales” que je faisais varier entre 70% et 120% en fonction de la zone géographique et le contexte ;
  • le budget déplacement professionnel : les managers n’avaient pas “d’enveloppe” concernant les voyages pro, mais des règles claires à respecter. Pour les déplacements, chaque salarié doit respecter une charte interne qui englobe “pourquoi voyager” (quel est l’objectif, les résultats attendus etc…), “comment voyager” (train, avion…), “pour combien” (un budget différent selon les régions du monde) et le process de validation. Je pense que cela est plus efficace que de dire à un service “vous avez 20.000€ cette année pour les déplacements pro”. 
  • le budget outils/logiciels : une scale up utilise des dizaines de solutions digitales et logiciels pour l’aider à optimiser/simplifier/accélérer le traitement de tâches très diverses. Même si des équipes peuvent être amenées à utiliser des logiciels différents, la gestion du budget et l’engagement de nouvelles dépenses de logiciel est centralisé par les équipes Opérations et Finance. 

b. Quels sont les reportings à mettre en place ?

Un fichier pour la situation comptable (vision P&L/Compte de résultat), un fichier pour la situation de cash, un fichier pour le suivi de l’ARR et de l’acquisition, un fichier pour des analyses de rentabilité… la multiplicité des fichiers, vous connaissez sans doute. 

En 2022, nous avons décidé de centraliser l’ensemble de nos reportings financiers dans un seul et même fichier : le “Financial Book”. Évolution historique de l’ARR de Partoo, acquisition Sales vs Objectifs, P&L et analyse de rentabilité par marché (Enterprise et SMBs), par région et pays, analyse du coût d’acquisition sur les 12 derniers mois roulants, situation cash, analyse de rentabilité… Tout y est ! Le 10 du mois, tous les mois, vous avez une vision globale sur la situation financière de Partoo.

Le secret, c’est bien évidemment l’automatisation. Elle n’est possible que si l’architecture du reporting est en base de données (comme pour votre Budget, point développé précédemment), et que vos outils de facturation, outils RH et outil de gestion des dépenses soient paramétrés eux aussi avec la même architecture. 

Export de nos logiciels de facturation pour la top line (les revenus), export de Payfit puis Lucca pour la masse salariale, export de Spendesk pour nos OPEX… Tout est mappé pour que l’automatisation fonctionne sans y passer 5 jours par mois. Le paramétrage initial est un sacré chantier, mais le résultat en vaut la peine ! 

5. Prendre ses responsabilités concernant la gestion de la scale up

Accompagner la finance d’une scale up pour un.e CFO, c’est construire et structurer une équipe solide, créer et optimiser les process et la documentation financière, mais c’est également des prises de décisions permanentes

a. Comment déterminer le bon niveau de dépenses (recrutements, augmentation de salaire, OPEX…) ?

Le niveau de dépenses, de manière globale, va être déterminé par vos forecasts de revenus,  par votre niveau de financement, et également par votre compréhension du business. Faut-il recruter un deuxième Sales en Allemagne ou un troisième Key Account Manager en France ? Faut-il augmenter le budget Google Ads du marketing, le maintenir stable ou le réduire ? Faut-il recruter une feature team Tech supplémentaire ? etc…

Les recrutements prévus, l’enveloppe d’augmentation salariale et les dépenses courantes, après quelques négociations avec les managers, seront inscrits dans le marbre du Budget qui devra être respecté. En théorie, une fois que le Budget est terminé, vous êtes tranquille pendant 1 an (un Reforecast est fait en milieu d’année). En théorie…

La phase de scale est une phase d’accélération pendant laquelle on va dupliquer des choses qui fonctionnent bien pour “passer à l’échelle” et se développer très fortement. Mais l’ADN start-up est toujours là : l’innovation continue et il faut saisir les opportunités quand elles se présentent. La phase de scale reste donc une phase d’instabilité pendant laquelle ce qui est vrai en mars n’est pas forcément vrai en mai. Il faut s’adapter.

Les recrutements prévus, les objectifs Sales et parfois les OPEX vont devoir évoluer en cours d’année. En tant que CFO, vous serez donc sollicité.e toutes les semaines pour des demandes “hors budget”. Dire automatiquement non, c’est se fermer des opportunités. Dire automatiquement oui, c’est aller droit dans le mur. 

Voici ce que nous avons mis en place pour ces demandes “hors budget” :

  • Pour les recrutements : un formulaire Typeform à remplir par le manager qui fait la demande avec les caractéristiques du postes, les raisons du recrutement, pourquoi ce n’est pas dans le Budget etc… Une sorte de lettre de motivation. 
  • Pour des changements sur les objectifs Sales : discussion possible seulement avant chaque trimestre (aucune modification possible en plein milieu d’un trimestre). Meeting avec CEO, CRO/Head of Sales et CFO. 

L’acceptation de ces demandes va dépendre de la situation globale de l’entreprise au moment de la demande (est on en avance ou en retard sur les ventes ? sur les dépenses ?…), du caractère indispensable (et non prévisible, car la demande n’a pas été anticipée) du recrutement, du niveau d’opportunité/ROI attendu de la demande.

b. Comment fixer le bon niveau d’alerte ?

On peut dire les choses tout de suite : ça ne se passe jamais comme prévu.  Même si vos équipes FP&A ont parfaitement modélisé les forecasts de votre entreprise : 

  • certains postes mettent beaucoup plus de temps que prévu à être pourvu, avec pour conséquences : retard dans les ventes pour les recrutements Sales, surcharge de travail et dégradation de la satisfaction client pour les recrutements Care/Customer Success manager, augmentation du niveaux de bug et retard dans la roadmap produit pour le recrutement des Tech… ;
  • le départ d’un ou plusieurs collaborateurs peut avoir des conséquences plus importantes que prévu (les mêmes que pour le précédent point) ; 
  • la perte inattendue d’un gros client crée un trou dans les forecasts de cash ; 
  • la situation macroéconomique peut se dégrader en quelques mois et les fonds décident de stopper les investissements (coucou 2022/2023).

En tant que CFO, vous avez une vision globale sur la situation de l’entreprise et les conséquences de ces “imprévus”. A vous de juger la gravité/l’importance de ces imprévus et d’entreprendre des actions en conséquence. On pourrait classer l’importance de ces aléas en 3 catégories  : 

  • 🟢 Aléa non significatif : ils ne sont même pas remontés à la Direction car non significatif (dépense de 2.000€ non prévu dans le budget marketing par exemple) ;
  • 🟠 Aléa assez important aux conséquences mesurées : vous informez le Comex/Board de cet évènement non prévu mais indiquez qu’il est sans grande conséquence pour le business (retard de 6 mois dans le recrutement d’un Sales par exemple, si vous avez 40 sales ce n’est pas dramatique mais cela va être plus compliqué que prévu pour atteindre les objectifs de vente) ; 
  • 🔴 Aléa majeur aux conséquences importantes ou une série d’aléas mineurs mais dont l’accumulation devient inquiétante : vous effectuez des analyses financières approfondies pour mesurer l’impact de ces aléas, et proposez des solutions pour atténuer les conséquences. Un meeting avec le CEO s’impose, et vous informerez également vos actionnaires.

Conclusion

Être CFO de scale up, c’est à la fois être le meilleur conseiller du CEO, une personne de confiance pour les actionnaires, un “bon manager” pour vos équipes, et un “bon communiquant” auprès des managers. Rien que ça. 

Si vous êtes dans cette phase passionnante de Scale, que vous soyez CEO, CFO, Finance manager, FP&A, entrepreneur, j’espère vous avoir apporté certains éléments de réponse sur des problématiques que vous rencontrez. Si vous souhaitez approfondir l’un des sujets traités, n’hésitez pas à me contacter.

J’en profite pour remercier toutes les personnes avec qui j’ai pu travailler chez Partoo, et bien sûr les Thibault (les deux CEO) et Clément (COO) pour m’avoir fait confiance et donné les clés du camion pour accompagner la Finance de Partoo.