D’où vient cette question ?
Sur le mois de juin, nous avons onboardé 38 collaborateurs chez Partoo. Nous avons connu une année de très forte croissance et traversons actuellement une des périodes les plus intenses de nos 8 ans d’existence.
Nous venons d’atteindre 400 collaborateurs pour environ 20M€ de revenus récurrents – en croissance de 80% cette année.
Durant la présentation d’onboarding aux nouveaux arrivants, quelqu’un m’a demandé si la croissance que nous avions était « classique en start-up », si cette croissance allait continuer à ce rythme et plus fondamentalement quelle était la raison de cette croissance.
Pas dans le sens de « raison économique », mais plus pour comprendre « quel était l’objectif ou même le sens de cette croissance ». Finalement, pourquoi croître ?
Ce n’est pas la première fois que l’on se pose la question avec Thibault Levi Martin, fondateur de Partoo – avec qui je partage la direction de l’entreprise.
Pourtant, depuis 2 ans, c’est un sujet qui revient plus souvent.
Pourquoi maintenant ?
Plusieurs effets expliquent que cette question soit plus présente aujourd’hui…
Tout d’abord, le fait que Partoo soit devenue une entreprise assez stable financièrement nous amène à prendre du recul ; et donc à reposer la question du sens de cette croissance.
Mais cette question est plus généralement posée aujourd’hui par la société dans son ensemble, notamment devant les impératifs écologiques. C’est une question qui touche toute l’économie mais qui trouve encore plus de légitimité si l’on regarde l’écosystème start-up.
La notion de « croissance raisonnée » fait depuis peu son apparition. L’article de Pierre Fournier, La fable du leveur et de l’éleveur – dont je vous conseille fortement la lecture – a aussi ré-ouvert des discussions sur ces sujets en interne chez Partoo.
Enfin, la crise qui touche le secteur tech depuis quelques semaines remet en cause certains modèles fondés uniquement sur l’hyper-croissance.
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Pourtant au fond de moi, je suis persuadé que la croissance de Partoo est une bonne chose ; pas uniquement de mon point de vue mais aussi du point de vue du groupe et même, soyons fou, de la société…
En y réfléchissant, j’y ai trouvé plusieurs explications, presque des « justifications » dans un monde où la décroissance est souvent présentée – à tort ou à raison – comme l’unique solution à nos problèmes.
Le média Tribes est donc l’occasion de les coucher par écrit ; plus pour en débattre et échanger des points de vue que pour affirmer ces idées comme des vérités immuables.
J’ai structuré cet article autour de 3 grandes idées :
- La croissance a du sens tant qu’elle est bénéfique à l’ensemble des partie-prenantes – ou « stakeholders » en anglais.
- La croissance a du sens quand elle est portée par une mission et une vision dont l’impact est potentiellement positif pour la société.
- La croissance a (éventuellement) du sens dans la réalisation du bonheur individuel, et donc à fortiori d’un bonheur collectif
1. La croissance comme apport de valeur pour les partie-prenantes
La réponse que j’ai donné à la question qui m’a été posée lors de l’onboarding de Partoo a principalement porté sur le point de vue des « stake-holders ».
Chez Partoo, nous considérons que la croissance n’a plus de sens à partir du moment où elle détériore la valeur apportée aux différentes partie-prenantes – à savoir les salariés, les actionnaires et les clients.
Dis plus simplement, « cela ne sert à rien de croître si l’on rend ses employés moins heureux ou ses clients moins satisfaits ».
A partir du moment où l’on considère que l’on rend ses salariés heureux et ses clients satisfaits, croitre sans détériorer ces indicateurs a beaucoup plus de sens. Si 400 salariés épanouis peuvent se transformer en 50 000 salariés épanouis, pourquoi ne pas favoriser la croissance ?
C’est sur cette base que nous avons fixé notre cap chez Partoo.
Nous suivons donc constamment l’évolution de notre satisfaction clients et collaborateurs. Nous le faisons à la fois via des indicateurs publics comme les notes Google clients ou les avis Glassdoor de nos employés et via des enquêtes par nos propres moyens – collecte de NPS ou “Pulse survey”.
Et cette manière de voir les choses a d’autant plus de sens aujourd’hui, dans un monde du travail où de plus en plus d’employés sont en souffrance. L’explosion du nombre de burn-outs, de bore-outs et de dépressions est en effet extrêmement inquiétante.
Un des points les plus problématiques de la croissance / l’hyper-croissance est selon moi l’impact catastrophique qu’elle peut avoir sur certains salariés ; que ce soit sur des sujets de qualité de vie au travail ou de licenciements massifs en cas d’échec.
L’objectif de cet article n’étant pas de dresser un argumentaire en faveur de l’équilibre vie-pro / vie perso, je passerai donc rapidement ce sujet.
2. La croissance comme réalisation d’une vision dans laquelle on croit
Vision et mission
Il n’est pas toujours facile de distinguer Vision et Mission d’entreprise.
Dit simplement, la Mission de l’entreprise est « ce que l’on fait au jour le jour », la Vision de l’entreprise est « l’objectif que l’on se fixe en tant que groupe d’individus ».
Par exemple, la mission officielle d’Amazon est de « fournir à ses clients des produits variés, accessibles et peu chers » tandis que sa vision est « de devenir l’entreprise la plus customer-centric au monde ».
La mission de Twitter est de « permettre à tout un chacun de formaliser et partager des idées » quand sa vision est « d’être l’entreprise la plus inclusive au monde ».
La mission de Partoo est de « rapprocher les entreprises de leurs clients » et notre vision est tout simplement de « prendre soin de faire les choses bien » avec tout ce que cela induit pour nos salariés, nos clients et l’environnement – en anglais, « we care about making things right » ce qui sonne un peu mieux.
Il apparait assez évident que la réalisation d’une mission et d’une vision « positive » pour la société est un prérequis pour justifier la croissance !
Mission RSE & impact positif
De manière générale, il semble bien plus facile de justifier sa croissance quand on est une « start-up à impact » que lorsque l’on travaille dans des secteurs tech / traditionnels.
Des start-ups comme Lakaa spécialisée en RSE locale ou Umiami qui développe un nouveau procédé de simili-viande, se voient rarement poser la question de la croissance. Cependant la croissance de certaines activités non RSE a aussi beaucoup de sens.
Selon moi, au-delà du secteur et de l’activité en elle-même, c’est la manière de faire les choses qui donne du sens à la croissance.
Pourtant, beaucoup de jeunes actifs cherchent aujourd’hui principalement à travailler dans des secteurs qu’ils considèrent comme ayant un impact RSE positif : transition écologique, économie circulaire, énergies renouvelables… De mon point de vue, c’est une vision trop restrictive pour analyser l’impact d’une entreprise sur la société.
Ainsi, une multinationale dans le secteur bancaire qui emploie des centaines de milliers de personnes en « faisant les choses bien » peut apporter plus à la société qu’une entreprise spécialisée dans la transition écologique mais qui développe un management toxique pour arriver à ses fins.
Ce qui donne du sens à la croissance, c’est l’impact global que l’on a par la manière dont on se développe.
…la manière de traiter ses salariés, la manière de servir ses clients, la manière de maitriser son impact, la volonté d’innover pour transformer les modes de consommation, la manière d’inspirer les autres entreprises…
J’ai donc toujours pensé qu’il était plus judicieux pour une personne en recherche d’emploi de privilégier « un type d’entreprise » qu’un secteur en particulier.
L’entreprise « plateforme du changement »
Depuis 10 ans, le rôle des entreprises dans l’évolution de notre société a pris une nouvelle dimension.
Elles ont ainsi un poids croissant dans les enjeux sociétaux d’aujourd’hui et de demain : politiques migratoires, redistribution des richesses, législation, aménagement du territoire, inclusion, éducation, etc…
La société de demain sera le fruit d’un rapport de force entre les multinationales et les différents états.
C’est une des principales idées que je retire de la lecture du livre Trailblazer de Marc Benioff, CEO de Salesforce.
30% des institutions les plus riches au monde sont des entreprises et 70% sont des états… et la tendance va en s’inversant. Non seulement les multinationales qui émergent sont plus puissantes que certaines organisations politiques, mais les citoyens attendent d’elles qu’elles se positionnent sur des sujets de société.
Selon un sondage de l’institut Global Strategy de 2018, 80% des Américains considèrent que les entreprises devraient être impliqués dans les enjeux de société et 76% pensent qu’elles devraient défendre leurs convictions même si ces-dernières sont controversées !
Et l’impact d’une entreprise (qu’il soit positif ou négatif) est souvent fonction de son poids économique.
La croissance est donc pour une entreprise un moyen d’avoir plus d’impact, de faire bouger plus de choses et « d’être le changement qu’elle souhaite voir dans le monde » (cc. Gandhi).
Dans ce contexte, la croissance des entreprises dont la vision et les valeurs sont positives pour la société est forcément bienvenue !
3. La croissance, source de bonheur ?
Ok, cette dernière partie est sans doute plus sujet à débat…
Mais je la tente quand même.
Régulièrement, je fais le point sur les raisons qui me font rester chez Partoo.
C’est un exercice auquel nous nous sommes livrés avec Thibault, à un moment clé de l’histoire de l’entreprise. Cela permet de prendre du recul et de se demander pourquoi on fait toujours partie de l’aventure : pour le sens ? pour les gens ? pour le challenge ? pour l’argent ? pour apprendre ? pour faire carrière ?
Même si la question de « pourquoi croitre » ne m’a pas été posée du point de vue de l’individu, elle peut être posée du point de vue d’une somme d’individus : les collaborateurs qui forment l’entreprise.
La croissance d’une start-up est quelque chose de galvanisant, qui génère de la cohésion, de l’engagement, de la motivation et finalement en un sens, un certain contentement, une certaine satisfaction qui participe au bonheur des employés.
La croissance est en effet créatrice d’opportunités pour les collaborateurs. Elle permet de progresser dans sa carrière, d’apprendre plus, d’être confronté à des situations variées.
La croissance donne aussi le sentiment d’avancer.
Régulièrement, je repense au début de Partoo, quand nous étions une vingtaine. Il y a indéniablement une certaine fierté à voir le chemin parcouru. Non pas que la croissance soit vue comme une fin en soi mais plutôt comme la reconnaissance d’un travail bien fait, d’une certaine réussite commune.
J’ai tendance à penser que nous avons (pour certains d’entre nous) une âme de bâtisseur, une volonté de créer quelque chose qui nous survivra, de participer à la construction de quelque chose qui nous dépasse.
En ce sens, la croissance en entreprise est un facteur pouvant contribuer à l’accomplissement de ses salariés.
* * * Conclusion. * * *
Même si c’est rarement une problématique centrale de l’entrepreneuriat, la question du sens de la croissance reste très importante sur le long terme.
C’est par ailleurs une question à laquelle les salariés attendent une réponse… même si celle-ci n’est pas parfaite. Le seul fait de se la poser apporte un nouvel éclairage, une nouvelle manière de penser l’entreprise.
Comme si l’entreprise en croissance avait un certain devoir d’exemplarité envers ses collaborateurs, ses clients et de manière générale envers la société.