Tout a commencé quand, post-confinement, nous avons dû définir notre charte de télétravail chez Partoo. Avec plus de 230 collaborateurs aujourd’hui, nous avons pour ambition de construire une des sociétés françaises où les employés se sentent les plus épanouis.

Cette ambition amène cependant de nombreuses réflexions.

En particulier, le télétravail est un sujet clé de notre Employee Value Proposition : nous proposons 3 jours de télétravail par semaine ainsi que 3 mois par an pour les collaborateurs de plus d’un an d’ancienneté. 

Cependant, derrière cette règle simple se cachent de nombreux débats : Jours fixés par équipe ? Onboarding en présentiel ? Places de bureaux pour tout le monde ? Autorisation du full-remote ?

Alors que bon nombre de sociétés passaient en full remote, post-confinement – comme The Family – différents retours d’expérience ont commencé à montrer certaines limites de ce modèle.

Pourtant, pointer du doigt ces limites, c’est un peu aller à l’encontre du courant de pensée dominant qui prône plus de liberté, d’autonomie et (à mon sens) plus d’individualisme. L’avenir du travail serait donc freelance, digital nomade, et full-remote ?

Étant aujourd’hui en pleine réflexion personnelle sur le sujet, je me suis dit que le plus simple serait sans doute d’en faire un article Tribes.

Cet article est volontairement à contre-courant de beaucoup d’articles déjà en ligne sur le télétravail : l’objectif est d’ouvrir un débat sain sur le sujet. J’ai aussi essayé d’être le moins généraliste possible en abordant notamment des questions concrètes d’organisation sur la base de retours d’expérience en partie 3.

I) Le télétravail en start-up

A) Un petit questionnaire et c’est parti !

La première chose que j’ai faite pour me renseigner est de lire un maximum de retours d’expérience et de littérature théorique sur le sujet, de m’inscrire à des webinars et d’échanger sur le sujet avec un maximum de personnes…

Si la théorie montre les challenges du télétravail, très peu de start-ups (France ou US) ont partagé leurs difficultés publiquement. Impossible aujourd’hui pour une start-up d’écrire un article sur « comment nous privilégions le présentiel » sans se prendre une pluie de haters sur la tête.

Pourtant des challenges liés au télétravail existent.

Je me suis donc dit que j’allais lancer une enquête via un questionnaire en ligne pour prendre la température. Je me suis alors rendu compte que beaucoup de start-ups ne voulaient pas forcément s’exprimer sur le sujet par peur d’être jugées ou encore car « la charte de télétravail est en cours de rédaction ». Au contraire, celles qui souhaitaient le plus s’exprimer sont celles qui font du « télétravail » ou du « full-remote » un élément clé de leur marque employeur.

J’ai tout de même réussi à obtenir une cinquantaine de réponses dont une trentaine de CEO et une vingtaine de DRH de scale-ups françaises : l’intérêt est là !

Ces sociétés, de 150 collaborateurs en moyenne, sont parmi les plus emblématiques de l’écosystème French Tech : Lucca, Livestorm, Skello, Welcome to the Jungle, Criteo, Voyage Privé, Cheerz, Privateaser, PrestaShop , Wynd, Evaneos, Captain Contrat, etc. Mais ce qui m’intéressait au-delà de la représentativité des chiffres obtenus ce sont surtout les témoignages.

Attention : tous les chiffres donnés ci-dessous sont en date d’Octobre 2021 et ne prennent pas en compte les modifications de politique de télétravail des sociétés mentionnées !

B) Les attentes vis-à-vis du télétravail

Pour prendre de la hauteur, il est important de rappeler que proposer une part de télétravail à ses collaborateurs est devenu indispensable pour recruter les bons profils.

Même si les employés français sont un peu plus attachés aux bureaux physiques que dans d’autres pays, ils sont 73% à souhaiter 2 jours de télétravail par semaine au moins d’après une étude du BCG parue en 2020. Dans la tech en France ce chiffre passe même à 89% comme le résument les 3 graphiques ci-dessous !



Si on regarde les résultats chiffrés de l’étude que j’ai mené, on observe que 100% des start-ups ayant répondu offrent au moins un jour de télétravail.

Les start-ups de 100 à 500 collaborateurs proposent en moyenne 3,2 jours de télétravail et celles de moins de 100 collaborateurs, 3,6 jours. Si l’on compare à d’autres études non publiques – comme celle du Galion faite sur le même sujet – on observe cependant que l’échantillon qui a répondu à l’enquête, donne plus de jours de télétravail en moyenne.

Cette réalité se traduit aussi par des politiques spécifiques sur les bureaux : plus de la moitié des start-ups peuvent accueillir moins de 80% de leurs salariés dans leurs locaux. Quelques sociétés sont full -remote (dont Assessfirst avec 75 salariés), et un peu plus d’une dizaine ont limité les places dans les bureaux à 50% des effectifs (Jellysmack, PrestaShop , Livestorm…).

Aussi, seuls 15% des répondants ont des bureaux fixes par employé, 45% ont des espaces par équipes (start-ups de 200 collaborateurs), et 40% sont en flex-office total sans espaces attribués par équipe.

C) Structure d’une politique de télétravail

De manière générale, les politiques de télétravail en start-ups françaises sont structurées autour de 3 piliers :

  • La Base : un nombre maximum de jours par semaine ou par mois (ex. 8 jours par mois chez Younited Credit)
  • Des extensions : Une période longue possible sous conditions et éventuellement du full-remote dans certains cas
  • Des spécificités : par équipe souvent – que nous verrons plus tard

En ce qui concerne les extensions, chez Partoo nous autorisons 3 mois de télétravail pour les salariés de plus d’un an d’expérience. Il y a bien entendu des conditions additionnelles. Même constat chez Privateaser comme l’explique le CEO Nicolas Furlani « la demande est analysée par la DRH, un des fondateurs et le manager. Il faut surtout que la période d’essai soit validée, de bons résultats et une garantie de bonnes conditions de travail dans la nouvelle destination. »

Chez Evaneos, comme l’explique le CEO, le full-remote est autorisé « sous réserve d’acceptation d’un comité constitué spécialement », mais il est aussi possible de faire du “Travel Remote Work” sur des périodes de 16 semaines maximum par an.

Dans la majorité des cas, ces extensions incluent donc des conditions d’ancienneté, d’atteinte résultats, de validation par la direction ou encore de décalage horaire – chez Partoo nous limitons à 3h de décalage horaire par exemple. Cependant, il est important de rappeler que la majorité des start-ups françaises n’en propose pas.

D) L’onboarding

Chez Partoo, nous sommes passés de 80 à 230 collaborateurs entre le premier confinement et aujourd’hui. Une bonne partie des nouveaux collaborateurs ont donc été onboardés à distance. En discutant avec eux, le retour d’expérience est unanime : voir physiquement les collaborateurs de l’entreprise que l’on rejoint est un vrai besoin…

De nombreuses analyses faites sur le sujet révèlent que « les jeunes travailleurs et les nouveaux arrivants dans une entreprise peuvent davantage souffrir de l’isolement social ».

Si certaines start-ups comme PrestaShop , MoovOne ou Sociabble permettent un onboarding en full-remote – en partie via du e-learning – 25% conseillent fortement le présentiel et plus de 50% le demandent explicitement : quelques semaines (Wedoogift, Welcome to the Jungle, Mention…) ou un mois comme Foxintelligence, Eldo, et jusqu’à 3 mois pour Voyage Privé.

L’objectif est de faciliter le coaching (mis en avant chez Théodo) ou encore privilégier la formation en présentiel jugée plus dynamique. « Nous demandons aux nouveaux collaborateurs d’être présents dans les bureaux la première semaine et durant la Cheerz Academy » explique ainsi Hugo Perrier, DRH de Cheerz qui compte déjà plus de 160 collaborateurs.

E) Des différences générationnelles

Il est aussi important de rappeler que les collaborateurs en start-ups sont souvent plus jeunes que la moyenne de la population active française – de 40 ans.

En effet, d’après les informations publiées sur Welcome to The Jungle, les moyennes d’âge des collaborateurs sont de 28 ans pour Partoo, Hivency, Pennylane, Spendesk ou Payfit, 29 ans pour Aircall ou 360learning et jusqu’à 31 ans pour Doctolib, Contentsquare ou encore Algolia.

Et ces spécificités des jeunes générations sont à prendre en compte ! Ainsi Gilles Satgé, CEO de Lucca (300 collaborateurs) rappelle que l’impact du télétravail peut être négatif pour certains, notamment « beaucoup de jeunes urbains qui vivent dans de petits appartements et pour qui l’aspect social en entreprise est important ».

C’est en tout cas un sentiment qui se retrouve dans les chiffres : selon Advance, pendant la pandémie, 44% des 18-25 ans affirmaient avoir hâte de retourner au bureau contre 19% pour les autres tranches d’âge !

Cette même tranche d’âge a également déclaré avoir plus de difficultés « à se sentir engagés ou enthousiastes en télétravail, à s’exprimer lors des réunions et à apporter de nouvelles idées que les générations plus âgées ». Et cela impacte leur motivation et leur performance : selon Fortune, 43% des 18-24 ans se sentent moins productifs en télétravail, contre 25% pour les 45-65 ans.

Bref, autant de signes qui montrent que le sujet du télétravail ne peut être abordé sans prendre en compte les spécificités générationnelles.

II) Performance individuelle vs. performance d’entreprise

A) L’impact sur la performance

Sans enfoncer de portes ouvertes, la conclusion est assez partagée comme l’explique Thibaud CEO de Wivoo : « Pour nous, le full-remote n’est pas efficace sur un temps long. Cependant, une alternance d’une présence de toute l’entreprise et du télétravail est un super combo ».

Lorsque l’on cherche à évaluer l’impact du télétravail sur la « performance globale de l’entreprise », un peu plus de 50% des répondants le juge positif ou très positif ; une bonne partie le juge neutre tandis que quelques retours sont négatifs.

Parmi les raisons évoquées au sujet de l’impact négatif, on retrouve, les problèmes de « cohésion et de communication entre les équipes », la baisse du « sentiment d’appartenance », le « manque d’efficacité des réunions » ou encore l’importance du présentiel « pour désamorcer des conflits ». D’autres regrettent que certains jours de télétravail soient « ressentis comme des jours de pause » par des profils très juniors.

Les retours négatifs portent notamment sur le « full remote ». Ainsi, il est pour certains « compliqué de bâtir une grande équipe sans vivre des choses ensembles » (Jérome Proust, CEO de Wedoogift). Cette importance accordée à la « culture d’entreprise » revient dans une grande majorité des retours, positifs comme négatifs.

Une transition nécessaire

Tous s’accordent cependant sur une réalité résumée par le CFO d’Olfeo: « donner la possibilité de télétravailler est finalement obligatoire pour toute entreprise recrutant dans les domaines technologiques ».

Ces nouvelles formes de travail sont ainsi une occasion pour certains de chercher à « construire le meilleur environnement de travail, moderne, en avance sur les standards du marché » comme l’explique Julie Gramer, en charge de la Culture chez Foxintelligence. « On a pu attirer de nouveaux profils en recrutant partout dans le monde » souligne Mathilde Neiman, DRH de Jellysmack.

Au-delà du fait de faire du télétravail un « facteur d’attractivité » des talents, de nombreux points positifs sont remontés : « meilleure organisation de travail en asynchrone », « culture de l’écrit », « meilleur focus chez soi », « moins de temps perdu dans les transports », « plus de liberté »… Pour la CEO de Nutchel, Clemence Rousseau-Dumarcet, le télétravail permet enfin de « mieux clarifier les missions et devient un révélateur des faiblesses de l’organisation… »

B) Un impact sur le « bonheur » ?

Kevin Valencia, Head of People chez Livestorm résume bien la position d’une grande partie des répondants : « Le télétravail permet à nos collaborateurs qui l’ont souhaité de quitter les grandes villes pour acheter des maisons et/ ou appartements avec plus d’espace, de se rapprocher de leur famille. De gagner en temps personnel (plus de métro ou de voiture) et de pouvoir avoir des activités plus variées après le travail. »

Beaucoup soulignent l’impact positif sur l’équilibre vie-pro.

La « liberté, la flexibilité et l’autonomie » offertes par le télétravail, effacent la notion d’horaires : une journée s’organise en mêlant des tâches professionnelles et des tâches personnelles. Finies les journées de travail standardisées.

Selon Pierre-Gaël Pasquiou, Chief Sales Officer chez Welcome to The Jungle, cela change la vie de nombreuses personnes : « Besoin d’être à la maison tôt pour récupérer les enfants ? Tu remote ce jour là. Problème de plomberie ? Tu vises un départ au travail plus tard. »

Des voix s’élèvent cependant pour mettre en garde contre ce type de fonctionnement qui peut occasionner des dérives (burn-out) : « en télétravail, les équipes montent en pression beaucoup plus vite, se sentent plus isolées »

Vient enfin le sujet du lien social. Ainsi pour Henri de Lorgeril, CEO d’Avizio, « le travail n’est pas qu’une occupation, c’est aussi un lieu de vie nécessaire en société, en communauté ».

C) Distinguer productivité, performance individuelle et performance collective

Productivité vs. performance

Dans le cadre du télétravail, il semble utile de distinguer tout d’abord la productivité et la performance.

La productivité n’est qu’une composante de la performance au même titre que la créativité, l’engagement et la collégialité. La productivité se mesure en quantité de travail produit sur une période donnée tandis que la performance se mesure au regard de l’atteinte des objectifs… Ce n’est donc pas du tout la même chose.

Une deuxième distinction est aussi très utile quand on étudie l’impact du télétravail. La « performance individuelle » – c’est-à-dire la capacité d’un employé à créer de la valeur – doit être différentiée de « la performance d’entreprise » – c’est-à-dire la capacité d’un groupe à avancer dans une direction commune et collaborer sur des projets d’équipes.

Bref, quand quelqu’un dit “je travaille mieux de chez moi”, cela porte souvent sur des questions de productivité personnelle et non sur de la performance collective, qui est pourtant l’indicateur clé pour une entreprise.

Pour aller même plus loin, le télétravail aurait un impact positif sur la productivité mais beaucoup moins sur la performance collective, notamment sur des capacités d’innovation, de créativité, etc. « Il est vrai que les meilleures idées arrivent souvent dans le cadre de discussions informelles… à la machine à café par exemple » note Adeline Bodemer, Head of People chez Gorgias pourtant très en avance sur ces sujets.

Pour Pierre-Gaël Pasquiou, Chief Sales Officer chez Welcome to the Jungle, le pilotage des objectifs est indispensable pour que le remote soit bénéfique à tous : “chaque manager doit disposer de KPIs et objectifs clairs à piloter : ceux liés à la performance mais aussi ceux liés à la rétention, la marque employeur, la satisfaction des équipes, etc. Sans cette notion, les bénéfices pour l’entreprise et pour ses salariés seront nécessairement subjectifs.”

Le capital social

Un des sujets clé est alors le maintien du « capital social » des employés qui se définit comme « le bénéfice que l’on peut tirer des relations humaines que nous entretenons avec les autres ».

Au sein d’une entreprise, la majorité du ‘capital social’ se construit sur la base d’interactions informelles qui disparaissent en partie avec le télétravail. Il s’agit par exemple de coups de pouce ou d’échanges d’informations sur les projets en cours à la machine à café, dans l’ascenseur, en déjeunant, entre deux réunions, etc. (le concept de « serendipity » en anglais).

Si ce sujet vous intéresse, je vous conseille la lecture de ce super article de Harvard Business Review : What a Year of Work From Home Has Done to Our Relationships at Work. Car au-delà de ce “sentiment” de déconnexion, il existe aussi des chiffres.

Microsoft a ainsi partagé en Mars dernier dans son World Trend Index, l’analyse de trillions de signaux – emails, meetings, chats, posts – pour en tirer des grandes tendances du monde du travail dans plus de 31 pays.

Et l’un des changements les plus importants observés cette année a été l’énorme réduction des réseaux professionnels et donc du “capital social” des collaborateurs. Avec le télétravail, les employés ont ainsi tendance à laisser tomber leurs relations plus “informelles” pour se focaliser sur leurs relations directes : les personnes avec qui elles travaillent quotidiennement – ce qui s’observe dans l’analyse des échanges de mails. Et un an plus tard, on observe maintenant que ces mêmes relations “directes” s’érodent aussi…

Concrètement, la question du télétravail remet donc une fois de plus sur le devant de la scène, la problématique des silos dans l’entreprise à laquelle s’ajoute la baisse du “capital social” des collaborateurs.


III) Entre règles et flexibilité

A) Guidelines d’entreprise ou guidelines par équipe ?

Pourquoi homogénéiser les pratiques par équipe ?

Le premier réflexe lorsque l’on doit rédiger une charte de télétravail est de la définir pour l’ensemble de l’entreprise : c’est plus égalitaire et surtout plus simple… à première vue. En effet, avec l’expérience, nombreuses sont les start-ups qui se sont rendues compte de l’importance de définir des modes d’organisation par équipe : quels en sont les retours ?

Loic Soubeyrand, CEO de Swile, explique par exemple lors d’une table ronde sur le sujet, l’importance d’avoir des équipes dont le fonctionnement est homogène : « le télétravail j’y crois beaucoup. Cependant, mixer des personnes en full présentiel et en Work From Anywhere dans une même équipe, à moyen et long terme ça ne fonctionne pas… On a essayé chez Teads (ndlr. Sa précédente société) et mécaniquement ça va créer de l’isolement et du désengagement pour ceux qui ne sont pas au bureau, car ils vont se sentir exclus des discussions informelles ».

Cela rejoint la vision de Pennylane dont les équipes techniques sont « Remote First » depuis le début. Pour Arthur Waller, CEO de Pennylane, c’est la construction d’une équipe tech 100% remote qui a fonctionné car personne ne se sent laissé de côté, il n’y a pas de scission entre deux modes de fonctionnement. Dans la même idée, Loic Soubeyran explique que chez Swile « l’équipe Marketing fonctionne beaucoup en présentiel : si on y incorpore quelqu’un en full remote, cette personne va se sentir exclu ».

Bref, le modèle privilégié serait donc celui de Doctolib où chaque équipe choisit entre 3 options d’organisation commune, votées à la majorité : (1) Full Office, (2) Hybrid avec deux jours fixes par semaine et enfin (3) Full Remote.

Le modèle “Freedom First”

Mais cette méthode présente aussi certains écueils puisque la majorité ne fait pas forcément l’unanimité.

Certaines sociétés comme Alan souhaitent avoir une politique « Freedom First » où le mode de travail est un choix personnel et non une décision d’équipe. Ainsi, pour les équipes hybrides regroupant des personnes en full-remote et d’autres en full présentiel, une solution évoquée est alors de supprimer les salles de réunion dans les bureaux. Par conséquent, les collaborateurs en présentiel comme ceux en remote participent aux réunions depuis leur ordinateur ce qui met tout le monde sur un même pied d’égalité.

C’est par exemple un des choix de Payfit qui n’a pas souhaité mettre en place de salles de réunions dans ses bureaux parisiens afin de ne « pas créer une boite à deux vitesses » comme l’explique son CEO Firmin Zucchetto.

B) Jours fixes ou jours libres ?

Les dangers du télétravail “à la carte”

En plus du débat « une règle commune à l’entreprise vs. des modes de fonctionnement variés par équipes », se posent la question des jours fixes ou des jours libres c’est-à-dire du « télétravail à la carte ». Là encore les avis divergent.

Pour Loic Soubeyrand, « Le télétravail à la carte pose des problèmes d’isolement : il est important d’avoir une organisation par équipe avec certains jours de la semaine télétravaillés et d’autres non ». A ceux qui lui opposerait la création de silos dans l’entreprise via ce mode de fonctionnement, Loic détaille : « La priorité est de maintenir la cohésion et l’échange au sein d’une même équipe et dans un second temps il faut il faut travailler la communication inter-équipe en organisant des moments avec toute l’entreprise ».

Que choisissent les entreprises ?

Dans les faits, 50% des répondants au questionnaire ne définissent aucun jour fixe et laissent une entière liberté aux équipes.

Pour les autres, certains fixent des jours pour l’ensemble de l’entreprise (souvent le lundi) comme Didomi, Skilleos ou Avizio, tandis que d’autres laissent aux managers le soin de fixer des jours par équipe : Criteo, Skello, Tiller, Lucca ou encore Cheerz.

Ainsi chez Foxintelligence « chaque équipe et chaque manager définissent ensemble le nombre de jours en présentiel nécessaire pour l’équipe dans la semaine ou le mois. Certaines équipes (les Sales par exemple) imposent un jour fixe de présentiel pour certaines réunions. ».

C) Certains métiers sont-ils plus propices au télétravail ?

C’est sans doute une des questions les plus tabou de ce grand débat : il est d’ailleurs assez drôle de voir les intervenants des tables rondes clairement éviter la polémique !

Toutes les équipes seraient-elles vraiment égales face au télétravail ?

J’ai tout de même trouvé un témoignage de Caroline Girard Leroy, DRH de Payfit, sur ce sujet : « Chaque fonction a des besoins de télétravail différents. Les commerciaux sont moins en télétravail que la tech par exemple. Les managers sont conscients de cela et les performances reviews ont vocation à guider et définir le meilleur mode de fonctionnement selon chaque employé. ». Même si cette affirmation peut paraitre évidente pour certains, elle est encore peu évoquée publiquement.

Ainsi, 70% des répondants à l’enquête disent ne pas mettre en place de politiques spécifiques pour les sales et il semble là encore que beaucoup ne souhaitent pas s’exprimer publiquement sur le sujet.

Certains évoquent ainsi la problématique avec des pincettes : « ce sont ceux qui disent le plus avoir besoin d’aller au bureau pour retrouver une émulation d’équipe », « ils se retrouvent pour des séances de prospection », « il ne doit pas y avoir d’obstacle au business », « dans les faits, ils sont presque toujours au bureau », etc. De nombreux exemples existent cependant : pour n’en citer que deux, les Inside Sales de Doctolib sont en full présentiel tandis que les sales d’Aircall ont un jour de télétravail de moins que les autres équipes.

Côté tech, c’est une autre histoire ! Nombreuses sont les start-ups à autoriser le full-remote uniquement pour la tech : HelloCSE, Superprof, Wedoogift… De manière générale, il ressort sans surprise que les équipes techniques ont plus de flexibilité. Deux raisons à cela : un métier qui se prête plus au télétravail et un marché très tendu pour recruter les meilleurs profils !

VI) 3 problématiques long terme

Au-delà de l’organisation opérationnelle, 3 sujets remontent comme des challenges long terme : les inégalités creusées par le télétravail, la revue des budgets et la mise à jour de la politique salariale.

A) Ne pas créer un monde à deux vitesses :

Tout d’abord, il semblerait que les inégalités soient renforcées par le télétravail. C’est d’ailleurs ce que l’on a observé durant le confinement lorsque ceux qui avaient des résidences secondaires ont pu fuir Paris tandis que d’autres s’enfermaient dans des appartements de 20m2. Aux Etats Unis, on observe ainsi une vraie fracture entre les 32% qui affirment ne plus jamais vouloir revenir au bureau et les 21% qui ne veulent plus jamais faire de télétravail (Harvard Business Review).

Mais à plus long terme, le télétravail creuse d’autres inégalités, en particulier les inégalités hommes / femmes. Pour les jeunes parents, on observe ainsi que les femmes souhaitent bénéficier du full remote 50% de plus que les hommes :

Ces statistiques sont inquiétantes quand on sait que le télétravail peut avoir un impact sur les évolutions de carrière. C’est en tout cas ce que semble montrer une étude menée en 2014 en Chine sur 250 personnes : en un an et demi, le taux de promotion des collaborateurs en remote fut ainsi 50% inférieur à ceux en présentiel.

De manière générale, le télétravail pose donc des questions de fonds sur la société que nous souhaitons construire.

B) Mettre en place les bons outils :

Un deuxième challenge pour de nombreuses start-ups consiste à revoir les budgets. On observe ainsi de multiples initiatives, comme par exemple :

  • Des équipements adaptés (budget d’une centaine d’euros par employé en moyenne ou possibilité de récupérer les matériels des bureaux)
  • Un aménagement de l’espace de travail spécifique (moins de postes pour travailler seul et plus d’espaces pour les échanges, ou le contraire en fonction des partis pris)
  • Des budgets team building augmentés, alloués pour les moments d’équipes 
  • Les transports (billets de train notamment)
  • La formation pour les managers, afin de suivre l’implémentation du modèle hybrid (Criteo)
  • Des budgets pour des séjours (billets et hôtel) pour venir au bureau rencontrer les équipes en présentiel (Jellysmack)
  • Des budgets coworking (AssessFirst)
  • Des budgets Moka Care pour la santé mentale (ex. Livestorm) ou Fourmily (ex. PrestaShop)
  • Une meilleure gestion de flotte informatique à distance avec Fleet notamment

Au-delà de ces initiatives des outils spécifiques commencent à voir le jour pour permettre aux entreprises de mieux gérer le télétravail : c’est le cas de Deskare, Café, Offishal etc.

Chez les répondants, la moitié n’utilise pas d’outils, dont 10% qui expliquent gérer cela directement depuis Google Agenda. Certains utilisent Payfit, Lucca (10%), ou d’autres solutions non spécialisées. Enfin 20% utilisent Café (Livestorm, Jellysmack, Privateaser…), quand d’autres préfèrent Offishal ou Deskeo.

C) La question des salaires, pour finir par une belle polémique

Une question d’actualité aux US

Une dernière question commence à fortement se poser, notamment aux Etats-Unis : faut-il faire varier les salaires en fonction du lieu de résidence d’un employé ?

Un débat qui n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît et qui pourrait bien mériter un article dédié sur Tribes. Faute de temps, je vous conseille la lecture de cet article : Let’s pay our remote employees fairly, not equally, Why I’m against bringing US salaries to the world. – pour info je ne me suis pas encore fait d’avis sur la question, mais je redoute un peu le jour où nos équipes techniques basées en France seront démarchées aux salaires appliqués à New York.

Au-delà des débats théoriques, dans les faits, les stratégies divergent aussi. 

Aux US, Facebook, Twitter ou Google ont ainsi décidé de baisser les salaires des employés qui déménagent dans des régions où le coût de la vie est moins élevé. Google propose ainsi à ses salariés un calculateur de salaire qui leur donne des estimations en fonction de la région dans laquelle ils souhaiteraient s’installer. Plus problématique, certains employés dont la résidence est très éloignée du lieu de travail pourraient voir leur salaire revu à la baisse sans raison logique.

D’autres sociétés comme Adobe, Reddit ou Zellow prônent une politique salariale “location-agnostic”. 

Dans le même temps Linkedin offre à ses employés la possibilité de travailler d’où ils veulent sans variation de salaire. Une bonne nouvelle qui se traduit cependant par la limitation de la place dans les bureaux à 10% des collaborateurs dans une période où 64% des employés seraient finalement prêts à payer pour avoir accès à des bureaux selon Wework ! 

Et pour la France ? 

La question peut paraître trop théorique pour la France, mais les chiffres suggèrent le contraire ! En effet, selon Figure, un employé de start-up en télétravail (full remote) a en moyenne un salaire 8% inférieur à celui de son homologue de bureaux à Paris. Néanmoins, cet écart est moins marqué qu’entre salaires en province et à Paris (-15 %). 

À la question, “Envisagez-vous de faire varier les salaires de vos collaborateurs en fonction de leur lieu de résidence principale ?”, près de 70% répondent non. En réalité, il s’agit principalement de start-ups très françaises et parisiennes là où d’autres font face à une présence géographique plus internationale.

Ainsi Jellysmack fait varier les salaires par pays : “Pour chaque pays nous prenons la ville de référence ou le coût de la vie est le plus élevé (Paris pour la France, Londres pour le UK) et on base nos rémunérations sur cette ville.” Gorgias, dont la maison mère est à San Francisco, applique des salaires qui dépendent de la ville de résidence : “si les employés sont full-remote, on applique la ville où ils vivent ; s’ils sont en flex-office, on applique la ville où le bureau est situé (pour la France, Paris)”.

Pour les variations entre Paris et Province, Lucca applique une différence de 8% (pratique similaire chez Mention, Wedoogift ou Skilleos), alors que d’autres start-ups sont en cours de réflexion. A noter que la formalisation de ces pratiques est plutôt une reconnaissance d’une réalité observée empiriquement : “les salaires demandés en province et à Paris ne sont pas les mêmes”.

Bref, l’opposition entre définir des salaires “égaux” ou “justes” commence à émerger comme le montre la politique de Livestorm sur le sujet : “payer pour un job et non pour un lieu” qui reprend la vision d’Adobee ou de Reddit mentionnée plus haut.

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C’est la fin de cet article ! Sans donner forcément de réponses aux nombreuses questions soulevées, j’espère au moins avoir ouvert des pistes de réflexion.

Si cet article vous a plu et que vous êtes CEO / DRH / Talent Acquisition dans une start-up de plus de 20 collaborateurs, j’en profite pour vous demander de prendre 5/10 minutes pour répondre à un questionnaire sur les bonnes pratiques de recrutement.

À bientôt pour un autre article Tribes !