Il y’a quelques jours, un de mes amis m’a appelé avec une question qui m’a paru très simple : comment définit-on le business modèle d’un SaaS ? 

Au fil de mes recherches je me suis rendu compte que cette simple question en soulevait des dizaines : comment choisir son driver de prix / Value Metric ? Doit on structurer l’offre par produit ou par plan ? Comment fixer la valeur ? Quels revenus additionnels peut-on générer ? Quels modèles de prix pour accélérer l’acquisition au lancement ? etc. 

Vu la densité du sujet, cet article répond aux deux premières questions, le reste viendra par la suite !

La stratégie de pricing est sans doute l’élément qui a le plus d’impact sur les revenus : pourtant, en moyenne, une start-up SaaS va passer uniquement 6 heures à la définir… En résumé, voilà quelques grands principes que j’ai retenu pour définir un bon Business Model en SaaS il doit :

  • Refléter les réalitées business (coûts et valeur client)
  • Être au juste milieu entre simplicité et flexibilité
  • Prendre en compte la concurrence (en valeur et en modalités)
  • Faciliter l’acquisition et la génération de revenus additionnels
  • Refléter votre stratégie de croissance (pénétration, revenus, profits)

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A noter que cet article fait partie des contenus repris & retravaillés dans Start to Scale, un livre publié en mai 2023 qui résume une bonne partie de ce que j’ai appris chez Partoo sur comment structurer une société, la scaler et l’organiser : l’idée était de fournir un playbook pour passer de 500k€ de revenus à plus de 25M€. 

Je travaille sur ce livre depuis plus de trois ans, en documentant tous les choix opérationnels et les stratégies que nous avons mis en place : si vous souhaitez le lire, c’est par ici !

1. Choisir sa Value Metric en SaaS

Les différents “drivers de prix” ou “Value Metrics”

En dehors des modèles “flat rate pricing” (produit SaaS avec un prix unique), la grande majorités des SaaS définissent un “driver de prix” aussi appelé “Value Metric”.

En effet le prix d’un SaaS est souvent fonction d’un multiple – un peu comme en valorisation d’entreprise – que l’on appellera ici la Value Metric du pricing modèle. Les plus communs sont :

  • Seats : Nombre d’utilisateurs de la solution (ex. Linkedin, Alan, Skello, Salesforce, Zendesk, Monday…) ou utilisateurs actifs (ex. module de frais de Payfit, Slack…) ; on parle souvent alors en licences !
  • Usage (calls APIs ou transactions par exemple) – on parle aussi de Pay as you Go
  • Nombre d’employés au total
  • Nombre de contacts pour les outils de marketing automation ou de ticketing (ex. Hubspot, Intercom)

Il y’a ensuite des milliers d’autres drivers imaginables : chez Partoo, notre Value Metric est par exemple le nombre de points de vente du prospect !

Les résultats de l’étude 2019 de KeyBanc Capital Markets portant sur 424 start-ups SaaS aux Etats Unis donne les résultats suivants :

Value Metric des start-ups SaaS

Pourquoi ne pas toujours choisir les users (Seats) comme Value Metric ?

La première règle est de ne pas tomber dans la facilité en choisissant forcément le “pricing per user” comme Value Metric. D’ailleurs, comme l’explique Patrick Campbell, CEO de Price Intelligently “80% des start-ups SaaS utilisant un pricing par utilisateur devraient utiliser une Value Metric différente”. En effet, le principal désavantage d’un pricing par utilisateur est de ne pas favoriser l’adoption (nombre d’utilisateurs), même s’il favorise l’usage (temps passé par utilisateur), qui sont deux notions à bien différencier en SaaS.

Chez Partoo, nous n’avons pas choisi le nombre d’utilisateurs comme Value Metric, ce qui nous permet de pousser au maximum l’adoption de notre SaaS : le prix payé n’est pas fonction du nombre d’utilisateurs ! Cette stratégie est bénéfique à la fois pour l’amélioration du produit, la valeur perçue, l’upsell et enfin bien sûr le churn – les switching costs étant plus importants quand beaucoup d’utilisateurs ont pris l’outils en main.

Comment alors définir son driver de prix en SaaS ?

Choisir son driver de prix est donc extrêmement complexe et stratégique. La principale règle est de trouver un driver de prix qui reflète à la fois :

  • La valeur client perçue : si le prix augmente sans que la valeur perçue augmente au moins dans les mêmes proportions, vous ne signerez que des contrats de faible taille !
  • Les coûts associés : l’objectif est que pour les plus gros clients, les coûts engendrés soient répercutés dans les revenus. Les coûts variables d’un SaaS étant principalement le support, la formation et les serveurs, il n’est pas étonnant que les utilisateurs (seats) et l’usage soient les deux Value Metrics les plus utilisées.

https://www.key.com/kco/images/2019_KBCM_saas_survey_102319.pdf

Ne pas oublier la concurrence

Une dernière idée à garder en tête est que dans de nombreux marchés, les Value Metrics sont normalisées par les acteurs historiques. Se conformer ou se différencier devient alors un vrai choix stratégique : si votre Value Metric est différente du marché vous prenez le risque d’être difficilement comparable en cas d’appel d’offres. En même temps cela vous permet d’affirmer un positionnement différent.

Le meilleur exemple de ce type de situation est l’opposition des pricings d’Intercom (VM = # de contacts) et de Zendesk (VM = # de users). En tant que client, si vous avez peu d’employés qui gèrent beaucoup de contacts, le pricing de Zendesk sera plus avantageux pour vous ; au contraire si vous avez beaucoup d’employés dans votre équipe Support, gérant peu de contacts, Intercom aura alors un prix plus attrayant !

2. Linear, Volume, Tiered and Packaged Pricing

Quand on parle de pricing, on oppose souvent Volume Pricing et Tiered Pricing : les définitions que j’ai trouvées sur internet (en anglais) sont souvent très peu claires : j’ai donc passé plusieurs heures à lire une petite dizaine de sites pour vous en faire un résumé. Par ailleurs, les notions de Linear et de Packaged Pricing sont souvent peu / pas évoquées, alors qu’elles sont tout aussi importantes !

Linear Pricing

Le pricing linéaire, comme son nom l’indique, est un pricing pour lequel le prix est linéairement corrélé à la Value Metric ;  autrement dit, le prix d’une unité de Value Metric incremental est stable ! A noter que la majorité des SaaS ayant le nombre d’utilisateurs comme Value Metric ont un modèle de prix linéaire jusqu’à un certain nombre de licences, et un modèle dégressif ensuite, que ce soit affiché ou sous-entendu ! C’est souvent le cas quand le site vous indique : “vous avez plus de x employés, contactez-nous !”.

Volume Pricing

Le Volume Pricing est une forme de pricing dégressif pour lequel le client atteint des paliers de prix qui affecte toutes les licences sous contrat (à la différence du Tiered pricing que nous verrons ensuite). Ainsi, dans le tableau ci-dessous, le Linear Pricing est de 20€ / VM peu importe la tranche. Dans un Volume Pricing si le client a plus de 100 licences alors le prix de toutes ses licences sera de 10€ (pour 130 licences le prix sera donc de 10€ x 130 = 1300€). Le prix de la 100ème licence est donc négatif : pour 99 licences, le prix est de 1485€ (99 x 15€), tandis que pour 100 licences, le prix est de 1000€ ! 

Ce type de pricing pousse donc forcément a prendre plus de licences en s’engageant sur un volume : c’est une stratégie qui peut d’ailleurs favoriser l’adoption même dans un modèle de pricing avec le nombre d’utilisateurs comme VM. C’est par exemple ce que fait Salesforce : le prix étant plus avantageux pour 40 licences, je vais alors en prendre 40 même si je n’ai que 30 sales : histoire vraie ! Et forcément je vais passer les 10 restantes à d’autres employés en attendant d’avoir plus de sales car je ne souhaite pas avoir des licences inutilisées… Grave erreur que nous avons comise chez Partoo : une fois de nouveaux Sales arrivés, il n’est plus envisageable de retirer des licences à ceux qui ont pris en main l’outil et vous vous retrouvez à sur-consomer : habile !

Tranches de Value MetricLinearVolumeTieredPackaged
0-1020202020
10-10020151515
100-30020101010
prix pour 13020 x 13010 x 13010 x 20 + (…)10 x 300
Total2 600€1 300€1 850€3 000€
Analyse pratique des différents modes de pricing

Tiered Pricing

Le Tiered Pricing est une autre forme de pricing dégressif pour lequel chaque Value Metric additionnelle fait baisser le prix moyen de la Value Metric du contrat : il n’y a jamais d’à-coups ! Les tranches de prix affectent uniquement les licences additionnelles et non les licences des tranches inférieures. Le Tiered Pricing le plus connus est celui de l’impôt sur les revenus (qui a pour Value Metric vos revenus ;). 

Si l’on reprend l’exemple ci-dessus, le Tiered Pricing donne un prix de 1850€ pour 130 Value Metrics, calculé comme suit : (10 x 20) + (90 x 15) + (30 x 10). Le prix moyen d’une Value Metric est alors de 14,23€ ; si j’ajoute une Value Metric, dont le prix incremental sera de 10€, le prix moyen d’une VM sous contrat baissera automatiquement à 14,19€ ! Dans ce type de prix, le client est incité à ajouter des VM au fur et à mesure car chaque VM additionnelle fait baisse le prix moyen d’une VM !

Dans le graphique ci-dessous, on voit bien la différence visuelle entre les types de pricing évoqués :

Linear, Packaged, Tiered and Volume Pricing

L’exemple de Tiered Pricing chez Partoo

Chez Partoo, nous avons mis en place un Tiered Pricing relativement classique en définissant nos tranches sur la base d’une Value Metric propre à notre marché : le nombre de points de vente. Au sein de Tribes, nous essayons de partager un maximum de retours opérationnels, vous trouverez donc ci-dessous une capture d’écran du Price Book de Partoo, les chiffres ayant tous été modifiés bien entendu !

Vous pouvez aussi télécharger le Template excel de notre Price Book en cliquant sur ce lien !

Partoo Price Book

Le package Pricing

Le Package Pricing, comme son nom l’indique, est une forme de pricing sous la forme de Packages aussi appelés Plans ou encore de Formule – tous ces termes étant utilisés sans distinction dans cet article. Le Package Pricing donne le choix au client entre différents Plans qui lui donnent accès chacun à un certain nombre de Value Metrics (VM max). Ce dernier type de pricing nous permet de faire une transition tout en douceur vers un autre sujet clé du pricing SaaS : les plans !

3. Les plans et formules : quand les utiliser ?

Il existe trois manières de structurer ses plans : par tranche de VM (Package Pricing), par fonctionnalités ou encore pour regrouper ses produits. De manière générale les Plans permettent d’une part de simplifier le discours et d’autre part de pousser à l’upsell.

Les plans sur du Package Pricing

Nous l’avons déjà évoqué précédement, le Package Pricing est un pricing sous forme de Plans qui donnent le droit un nombre maximal de Value Metrics. Dans l’exemple ci-dessous Freshbooks, dont la Value Metrics est le nombre de “Billable Clients”, propose un Package Pricing : si vous souhaitez biller 6 clients, vous tombez directement dans le Package Plus (le plus populaire). La stratégie est alors de donner au client l’illusion du choix et de le pousser mécaniquement vers le “Best Seller” / “Most Popular” Plan qui sera on l’espère pour Freshbooks, le plus profitable !

Freshbooks price Plans

Les plans sur la base des fonctionnalités :

Le deuxième type de Plan, est le Plan sur une liste de de fonctionnalités. C’est par exemple ce que fait Payfit ci-desous dans la capture d’écran ci-dessous : c’est un type de plan très répandu dans les SaaS français comme Algolia, Wavy, Flexybeauty, Sendinblue, etc). Chaque Plan vous donne accès à des fonctionnalités additionnelles. En termes de stratégie, un grand classique et d’inclure une fonctionnalité essentielle au produit dans le plan supérieur, mais assez complexe pour que le prospect ne la voit pas à première vue ! 

Chez Partoo, nous nous sommes fait avoir récemment deux fois avec cette technique… La première fois sur Hubspot, où le calcul automatique du scoring d’un prospect (sur la base du marketing automation) est une feature – clé pour nous – qui est bien sûr dans le plan supérieur ! La deuxième fois chez Monday, alors que l’intégration API à Salesforce n’est disponible que dans le plan Entreprise. Dans les deux cas, ces fonctionnalités sont à la fois indispensables à l’automatisation, mais pas assez évidente pour être envisagées à la souscription… Bien joué !

Payfit price Plans

Les plans sur la base de produits :

Bien sûr, si vous êtes un jeune SaaS, vous n’avez peut être pas encore mis en place de Plan ! Cela vient souvent avec la complexification de l’offre que vous essayerai alors peut-être de simplifier.

Chez Partoo, nous avons deux types de clients : les grands comptes comme Carrefour, Leroy Merlin ou Toyota et les petits commerçants comme le boulanger du coin ou votre dentiste préféré. Pourtant si les produits et la tech derrière sont relativement similaires sur nos deux marchés, la manière de les présenter est différente (et les deux sites aussi : grands comptes vs. petits commerçants)

Pour les enseignes – notre personas étant le directeur Marketing / Digital – nous présentons nos produits de manière séparés avec des noms en anglais (voir ci-dessous). 

Partoo price Plans

Au contraire, pour les petits commerçants, nous avons revu la manière de présenter la solution et de la pricer : le premier Plan proposé inclut les deux premiers produits ; le deuxième plan inclut le troisième produit. Pour conclure, si vos produits sont interdépendants (le produit A est nécessaire au produit B) et que vous souhaitez simplifier votre offre, présenter vos solutions sous la forme de package peut être une bonne stratgégie :

Partoo prix

4. Linkedin, un cas d’école pour finir !

Linkedin Sales Navigator prix

Maintenant que c’est – je l’espère – plus clair pour vous, prenons le cas du pricing de Linkedin pour étudier comment tous ces concepts peuvent être entremêlés !

Linkedin Sales Navigator (LSN) est un des produits de Linkedin, société SaaS B2B. En réalité, Linkedin Sales Navigator est une déclinaison pour le marché Sales du produit Linkedin Premium (qui se décline aussi pour les RH par exemple, bref.) 

La première chose à noter est que la Value Metric principale de LSN est l’utilisateur (seats) : plus vous avez de licences, plus vous payez cher, c’est donc un Linear Pricing pour chacun des 3 “plans” (Professional, Teams, Enterprise). Les deux premiers Plans, sont des Linear Pricing, le troisième semble être un Tiered pricing (plus vous avez de licences, plus Linkedin vous fera un prix d’ami).

Ce qui est intéressant c’est que ce Pricing implique ici plusieurs Value Metrics : effet, le nombre d’inmails par mois et le nombre de prospects enregistrés sont deux Value Metrics secondaires qui vont permettre de définir les plans dans une logique de Tiered Pricing ! Notons aussi que ces Value Metrics secondaires (contrairement à la VM principale) sont value-based et non cost-based : permettre à un utilisateurs d’envoyer plus d’Inmails ne coûte rien à Linkedin mais apporte de la valeur au client !

Bref, comme vous le voyez, une fois tous les concepts en main il est possible d’inventer une infinité de modèles de pricing, avec des VM principales et des VM secondaires ! A vous de jouer 🙂

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Articles à venir

Comme je le disais en introduction, cet article répond à 20% des questions que je souhaitais traiter au début. Le reste est en cours de rédaction et sera ajouté prochainement sur Tribes :

  • Comment fixer son prix ? (retour en école de commerce)
  • En quoi votre prix doit refléter votre stratégie (pénétration, revenus, profits)
  • Engagement, modalités de paiement et révision annuelle du prix 
  • Comment générer des revenus additionnels au SaaS ? (hardware, services, sur mesure…)
  • Comment favoriser l’acquisition ? (freemium, parainage, etc)
  • Quels leviers de négociation du prix en SaaS ?
  • etc.

Je suis preneur de tout retour d’expérience que vous pouvez avoir, n’hésitez pas à me contacter !