Lever des fonds est rarement une partie de plaisir. Même si ce n’est pas l’alpha et l’oméga du mode Saas et que ça ne peut constituer une fin en soi – saluons en ce sens l’initiative du club bootstrap – selon la trajectoire de son activité cela peut s’avérer indispensable pour financer ses premiers mois d’exécution.

La première réalité croisée est la nécessaire humilité à laquelle la recherche de fonds renvoie les fondateurs.
Quels que soient leurs parcours professionnels et l’expérience qu’ils ont acquis, il est fort probable que chacun d’entre eux soit confronté à la remise à plat de ses croyances. 

Le second écueil rencontré se situe principalement dans la difficulté de cibler avec efficacité les investisseurs potentiels et de les adresser avec une bonne posture.
Cela évite de perdre un temps précieux et d’entamer quelque peu son orgueil lorsqu’on se prend un vent !

Démarche pas confortable tous les jours, mais source intense d’apprentissage, lever des fonds constitue également une introspection sans concession qui au gré des rencontres bonifiera malgré tout ton projet et le fera sortir de terre.

Pour notre projet Open!Eat, c’est 12 mois d’un parcours où, même avec un CV pertinent par rapport au marché adressé, même avec une solution technique en maturité MVP, la recherche de fonds a été un chemin non linéaire bardé d’ascenseurs émotionnels incroyables.
Tu peux marcher sur l’eau le matin parce que tu as passé un round VC, tu dégringoles le soir parce que ton « super B.A qui avait dit promis juré craché je vous suis à 150 K€ » vient de confier la gestion de ses investissements tech à son fils, qui ne te regarde pas si tu n’es pas sur insta. 

Et pour au final une belle levée seed obtenue en même pas 2 mois auprès de notre réseau (décembre 2021 -> janvier 2022 – on aurait dû commencer par ça !!!), puis un projet de levée conséquente en juin prochain, paradoxalement plus facile à obtenir maintenant que le 1er round a été conclu et que les médias relaient notre démarrage.

Open!Eat
Article de Les Echos

D’où cet article qui se veut être un témoignage factuel d’une trajectoire de 12 mois pour (enfin) boucler notre première levée de fonds. Avec au passage quelques tips que j’espère potentiellement utiles aux futurs aventuriers qui emprunteront la voie de la recherche d’investisseurs.

I – De l’intérêt (ou pas) d’avoir de l’expérience

La première désillusion se loge perfidement dans ce que tu crois être ta crédibilité professionnelle.
Ce n’est pas parce que tu as plus de 50 ans, que tu as été DG d’une structure qui faisait plus de 200 M€ de CA, que tu es B.A à tes heures, que tu as auparavant créé une boîte et déjà fait un exit, que les VC ou B.A l’attendent les bras ouverts.
Comme si l’expérience cumulée d’entrepreneur et de dirigeant d’une grosse filiale d’une ETI ne comptait plus à l’heure de la création d’un nouveau projet où l’on se doit d’être “hands on”.
A minima tu as crédit d’une forte connaissance du marché, mais tu sens quand même planer un léger doute sur ta capacité à mener à bien un plan d’exécution ambitieux. 

Il peut donc être adroit de s’entourer d’un associé opérationnel type CTO ou CMO de 30-35 ans. C’est sur le principe discriminant mais c’est ainsi. 

Cette recherche de l’associé « idéal » est tout aussi valable à l’inverse si tu es jeune mais sans forte expérience ou notoriété sur le marché adressé.
C’est par exemple le très bon réflexe adopté par Pulp dès l’origine, en allant chercher des B.A à la fois pourvoyeurs de fonds mais surtout advisors.
En tant que B.A de Pulp, j’ai la faiblesse de croire que j’ai apporté aux 3 founders quelques clés de compréhension sur les attentes des acteurs des titres resto, tout en aspirant pour mon propre compte les codes start-up qu’ils maîtrisaient parfaitement.

II. Mieux comprendre les attentes des B.A ou des VC

Pour éviter de se casser les dents et de connaître quelques désillusions, mieux vaut très vite admettre un postulat : Le fondateur et l’investisseur n’ont pas la même paire de lunettes.
Tu penses « vendre » ton projet à des analystes VC en montrant que le break even est dans 3 ans… et bien non, c’est la croissance / la traction / le MRR qui compte.

Leur calendrier (focus exit) n’est pas le tien (focus plan d’exécution). En tant qu’entrepreneur tu es formaté croissance / proposition de valeur / talents / opérationnel / rentabilité, en tant que fonds la question principale qui compte est : multiple de combien dans 5 ans ?

Il faut comprendre cette logique en se mettant quelques instants à leur place :

  • Les VC sont dépositaires de fonds sous gestion pour lesquels ils seront évalués à l’aune de leur performance à terme
  • Les B.A engagent leur propre patrimoine, ils n’ont aucune envie de le voir s’éroder à cause de choix qui ne sont pas en phase avec la performance attendue (autant aller vers l’immobilier…)

Il ne s’agit donc pas de juger, mais d’intégrer cette composante dans les échanges avec les investisseurs. Loin d’une conversation aimable entre pairs, soumettre son deck à des fonds impose de reconnaître les attentes du camp d’en face.

III. La belle histoire – Quand et comment ?

Plus facile à dire qu’à faire, le story telling compte beaucoup dans la manière de rendre crédible son deck à des auditeurs.
Il se décline à mon sens en quatre compartiments distincts et précieux : Le bon timing, la posture, la narrative et la maîtrise de son BP.

Le bon timing

On a tous en tête la crainte de passer à côté d’une opportunité (“Ha, si j’avais attendu un an de plus…”).
Lever trop tôt ou trop tard, c’est prendre le risque de se mettre en danger ou de trop se diluer. Calculer son bon timing, c’est anticiper son cash burn et s’assigner un rétro planning compatible avec le refuel de son activité.
Zone dangereuse que d’être acculé par un manque de cash à quelques encablures d’un closing !

La posture

Plutôt que de réclamer du financement, laisser entendre qu’il serait dommage de passer à côté de cette opportunité.
Et paradoxalement cela agite le FOMO auprès de l’investisseur. Exemple vécu : Je croise un fonds à fin d’année 2021.
Intérêt poli et renvoi vers leur équipe amorçage (early early stage).
RDV pris, mais entre-temps le 1er round était bouclé et le tour de juin prochain très bien engagé : changement complet de discours : « y aurait-il une petite place pour nous ? » alors que c’est le même deck, la même trajectoire…
Être sûr de son projet et avoir une absolue certitude de sa réussite finit par atteindre l’auditoire.
Le speaker est convaincant quand il est convaincu.
Si l’on considère que la martingale gagnante est équipe performante / proposition de valeur différenciée / profondeur du marché / plan d’exécution détaillé, avoir confiance coche assurément le volet équipe performante, surtout si celle-ci est capable de raconter la genèse du projet, à savoir la narrative.

La narrative

Raconter l’histoire de la proposition de valeur.
Chacun d’entre nous aime entendre des histoires, des anecdotes, des moments fondateurs, même les investisseurs !
Ça ancre le projet dans une fibre émotionnelle, ressentie, partagée.
Le fonds donnant son accord saura dans les dîners en ville raconter pourquoi il a pris de risque de vivre cette “aventure” et “faire confiance” aux fondateurs.
Cela pourra s’appuyer sur une idée primitive, un exemple percutant, un chiffre étonnant. Et l’investisseur fera sienne la thèse des fondateurs, c’est le moment de bascule où le subjectif emporte la mise.

Tout le monde se souvient des garages mythiques où sont nés dans les années 80 Apple, HP, etc… Plus récemment nous avons vu Cyril Chiche raconter à l’envi ce jour béni où sur un campus il a entendu un étudiant dire à un autre “je te fais un Lydia ?” – la légende était née !
Encore faut-il démontrer que l’histoire va être concrétisée ; Et quoi de mieux qu’un BP parfaitement maîtrisé pour joindre les actes à la parole.

Maîtriser son BP (et le rendre crédible !)

Le mode SaaS a des vertus extraordinaires dès qu’un seuil de revenus récurrent est atteint. Mais que de cash brûlé pour y arriver !
Les résultats des premiers exercices en SaaS démontrent la surface d’argent nécessaire à l’absorption des déficits d’exploitation.
L’investisseur ne s’y trompe pas et aura tendance à challenger ce risque en questionnant les métriques de traction et la mesure des coûts directs associés.
D’où l’impérieuse nécessité de maîtriser son modèle économique et les projections de croissance. Maîtriser son BP c’est maîtriser son sujet, car les chiffres ne mentent pas.
Avoir réponse à toutes les questions est de nature à rassurer l’investisseur sur la pertinence du modèle et la connaissance intime de celui-ci porté non pas par un financier mais par le fondateur du projet.


À l’inverse, une absence de maîtrise ou un business plan bullshit peut générer des lendemains difficiles : si tu promets la lune, tu as intérêt à délivrer.
Mieux vaut être franc dès le départ, vendre un Excel déconnant, ça se retourne irrémédiablement contre toi dans les boards qui vont suivre.

Pour endurcir l’approche SaaS avec les KPI adaptés, se référer à l’excellent article comment construire son business plan de Jonathan Bonnet.


IV. Sélectionner les cibles B.A ou VC (et BPI !)

Les B.A ou VC refusent rarement d’écouter un pitch.
C’est leur métier de base que de sourcer les opportunités.
Ça peut être grisant de courir les rendez-vous, et pourtant rien ne sert de sonner à toutes les portes, il faut vérifier quelques aspects, sinon c’est au bout du compte du temps perdu.

Les bons VCs

Le projet que je porte est-il dans les thèses habituelles ou revendiquées des fonds (exemple : un fonds spécialisé biotech ne sera peut-être pas pertinent sur du retail) ?

Mon projet adresse-t-il un fonds qui a une enveloppe dédiée au stade d’avancement de mon développement ? Certains fonds possèdent des compartiments early stage ou scale, d’autres n’interviennent qu’à partir d’un certain seuil de MRR

Le fonds VC auquel je m’adresse a-t-il un fonds sous gestion en renouvellement (tout autant générateur d’opportunités de dernières minutes que de retard potentiel).

L’investisseur envisagé est-il de près ou de loin le financeur d’un concurrent direct ou indirect ?

Le fonds est-il capable de partager un calendrier d’engagement (permet de tester la motivation réelle) ?

Et concernant les Business Angels

Ceux-ci sont à choisir avec soin.

Les clubs de B.A sont potentiellement composés d’investisseurs dont l’origine des fonds vient d’un patrimoine plutôt que d’une réussite entrepreneuriale. Avec deux inconvénients : des questions business qui laissent parfois sans voix et un temps à passer incroyable pour quelques multiples de 20K€. Et en bonus track une discrétion qui laisse à désirer : Notre deck, présenté à un club de BA, s’est retrouvé sur le bureau d’un membre du Comex d’un de nos futurs concurrents !

Les B.A “love money” sont de précieux soutiens de la première heure. En revanche, même si c’est plus facile avec les outils comme le BSA Air et les plateformes type Equify ou Roundtable d’eFounders, ou encore les holdings Ad Hoc ou les SPVs, ça reste tout de même lourd d’avoir 15-20 investisseurs dans sa captable 

Un B.A issu du monde de l’entreprise (même à 20 K€) sera un excellent advisor et ouvrira son réseau. À préférer impérativement. Alors un B.A entrepreneur et gros bailleur de fonds, c’est le graal ! Citons ici le fonds Tribes Invest, qui présente cette caractéristique ultime

Se référer à l’article de Thibault sur l’impact des Business Angels sur l’écosystème startup Français.

Faut-il passer par un leveur ?

C’est la question usuelle.

Oui si tu ne sais pas vers qui te tourner pour présenter ton deck; il te restera à choisir le bon leveur en fonction de la largeur de son réseau ou de la spécificité des startups qu’il a accompagné

Non si tu t’engages progressivement et méthodiquement dans ta recherche de fonds, tu finis toujours par trouver la porte d’entrée des fonds ciblés (et au passage tu ne lâches pas 6% du financement à un intermédiaire).

Sans oublier la BPI

Enfin ne passons pas à côté de l’aide précieuse de la BPI : Entre subventions et prêts d’amorçage, le financement BPI peut être un complément précieux et non dilutif, et qui n’est pas forcément assujetti au calendrier de ta levée de fonds.


V – Le réseau, toujours le réseau

Réseautage : Il n’y a pas photo, c’est de loin le vecteur le plus puissant pour y arriver ; Nos plus belles surprises ont été générées par des recommandations de personnes qu’on ne connaissait pas il y a quelques semaines. 

Leur adhésion au projet a permis d’ouvrir leurs relations et nous avons ainsi trouvé notre 1er « gros » client et notre fonds leader pour la levée de juin. 

À chaque fois du (presque) hasard, mais une pugnacité qui fait qu’à un moment ça finit par passer. Exemple : Je cherche un presta tech pour un proto. Je trouve un dev qui a une boite de tech (3 associés), il nous fait un job incroyable, et… finit par être BA du projet sur le round de seed car il croit au succès du projet !


VI – Les clés pour optimiser sa levée

Lever des fonds est un parcours jalonné d’écueils et bardé de moments d’abattements et d’euphorie. Quel qu’en soit le résultat ou le succès, ce chemin initiatique endurcira ton projet car il se sera frotté à des questionnements venant d’externes non impliqués, donc potentiellement non complaisants. Pas forcément agréables, mais précieux !

Quelques tips en guise de conclusion : 

Laboure d’abord ton propre réseau -> un 1er round sur des sponsors puissants de ton propre réseau est une marche top sympa pour un 1er round de financement, les personnes te confient leur zone de risque et ça te donne une motivation incroyable d’être honoré ainsi de cette confiance.

Multiplie les rendez-vous, y compris les rendez-vous rebond ; quelqu’un qui en a parlé à quelqu’un qui… nos meilleurs rendez-vous ont été ceux issus d’une recommandation en rebond, que ce soit en fonds ou 1ers clients.

Sélectionne les B.A / F.O / fonds VC qui sont dans ta thèse et dans ton niveau de maturité.

Ne te contente pas de promesses dans les rounds successifs proposés par les VC : tant que ce n’est pas signé rien n’est fait. Un fonds VC a toujours intérêt à garder au chaud un dossier sur lequel il hésite.

Soit sûr de ton projet, de sa solidité / crédibilité, pour générer du FOMO (qu’est-ce tu risques ?). Ne pas quémander, mais démontrer sans cesse la proposition de valeur, la profondeur du marché adressé, un plan d’exécution dont tu es en capacité de détailler chaque ligne avec des éléments factuels et des métriques associées.

La pugnacité finit toujours par payer !