Un sujet peu couvert par les médias…

Les levées de fonds, et en particulier celles des scale-ups / licornes, ont envahi les news, les discussions entre amis et très probablement votre feed Linkedin ces derniers-mois (même si le rythme des méga-levées s’est ralenti depuis quelques semaines).
Cependant, il est parfois difficile de comprendre :

  • pourquoi une start-up décide de lever des fonds à un instant T, 
  • comment elle choisit ses partenaires financiers, 
  • et à quoi ressemblent les mois suivant ce nouveau tour de table. 

Les articles de presse ne nous en apprennent généralement guère beaucoup plus que le montant de la levée, la valorisation et le nom des investisseurs.

Source : Usine digitale, 15 mars 2022

Le marché des levées de fonds a beaucoup évolué ces dernières années – cette évolution elle-même aurait pu faire l’objet d’un article Tribes d’ailleurs – et aujourd’hui on assiste à une accélération du rythme des levées dans la vie d’une start-up.
En effet, il y a de plus en plus de fonds de VC sur le marché, et de plus en plus d’argent disponible.
Les start-ups décident donc souvent, dans ce nouvel environnement, de saisir l’opportunité de lever plus tôt que prévu

Mais justement, pourquoi une start-up décide-t-elle de lever des fonds ? Comment se déroule un processus de levée ? Et comment se passent les mois qui suivent une levée ?
J’ai souhaité m’intéresser à trois points qui sont souvent trop peu couverts par les médias au sujet des levées de fonds : le pourquoi, le comment, et l’après.

Cet article rassemble des éléments observés pendant près de cinq années passées en fonds d’investissement chez Partech, au sein de l’équipe Growth (Séries B et +). À noter que les différentes phases décrites ci-dessous, et notamment les délais et la profondeur de l’analyse, varient selon le stade de maturité de la start-up, et selon s’il s’agit d’une levée de Seed, Série A, B ou plus.

I- Le pourquoi: pourquoi lever des fonds ?

Distinction #1 : autofinancement vs financement externe

Il faut tout d’abord distinguer deux cas de figure : les start-ups ayant déjà levé auparavant (Seed, Série A…) et les start-ups autofinancées (dites bootstrapped). 

Dans le premier cas, il s’agit d’entreprises qui lèvent / ont levé des fonds pour financer leur croissance depuis leur création, leur business ne dégageant pas de bénéfices par lui-même avant un certain nombre d’années. 

Dans le cas des boîtes bootstrapped, ce sont souvent des business déjà matures avec un modèle profitable. Leur décision de lever des fonds est souvent déclenchée par une opportunité de marché qui nécessite un investissement plus important que d’habitude, comme par exemple un projet d’acquisition nécessitant plus de cash que ce que l’entreprise est capable de dégager via son activité. 

Voir les articles de Thibault sur les avantages et inconvénients de l’autofinancement.

Distinction #2 : primaire vs secondaire

L’investissement peut par ailleurs être de deux natures.

  • En primaire (cash-in)

Cela correspond à l’émission de nouvelles actions, et à l’injection de cash supplémentaire dans l’entreprise.

  • En secondaire (cash-out)

Cela correspond à un rachat / transfert d’actions existantes.

Le secondaire intervient souvent à partir de la série A pour dérisquer les fondateurs, en leur donnant accès à de la liquidité, et/ou pour permettre aux fonds plus early stage de sortir de la table de capitalisation (captable) et de revendre leurs actions. 

Les rachats d’action se font souvent avec un discount par rapport au prix de l’action au moment du tour, qui peut être différent selon s’il s’agit d’un rachat auprès des fondateurs (discount faible voire absence de discount) ou des fonds d’investissement existants. Les montants de secondaire ont par ailleurs tendance à augmenter, notamment compte tenu de l’intensité compétitive sur le marché, le secondaire permettant d’améliorer l’attractivité de l’offre auprès des fondateurs.

À noter que les montants des levées annoncées dans la presse correspondent très souvent à la somme du montant levé en primaire et en secondaire.

Les principaux usages

Que ce soit pour une boîte bootstrapped ou déjà financée, les entrepreneurs se doivent d’avoir une vision claire de ce qu’ils veulent faire des fonds entrants (cash-in).

Les principaux usages, ou use of proceeds, sont les suivants :

  • Le recrutement, le nerf de la guerre, notamment aux postes clés encore vacants au moment de la levée, pour lesquels les fonds peuvent apporter une aide en ouvrant leur réseau (réseau direct ou réseau de chasseurs de têtes)
  • L’expansion – produit ou internationale (Europe / US) principalement, qui représente un moment charnière pour l’entreprise, et nécessite dans la plupart des cas de recruter une équipe en partant de zéro, d’investir en marketing local pour augmenter sa notoriété dans une nouvelle géographie, d’adapter son produit aux contraintes locales, de repenser son positionnement par rapport à la concurrence locale, etc…
  • La stratégie – M&A, lancement du produit sur un nouveau secteur, ou tout autre développement stratégique qui nécessite un apport de cash important pour le financer

Cette liste est bien évidemment non exhaustive, chaque situation étant spécifique et dépendante du contexte.

Le choix du meilleur partenaire financier

Ces objectifs cibles déterminent le choix du partenaire financier

Les entrepreneurs vont chercher à évaluer en priorité la pertinence du fonds par rapport aux objectifs business, humains et stratégiques de la levée.

Un entrepreneur choisira par exemple davantage un fonds international si sa captable n’est constituée que de fonds locaux et que son objectif est de s’internationaliser davantage. 

De la même manière, le réseau et le portefeuille existant d’un fonds peuvent peser dans la balance, les fonds pouvant ouvrir des opportunités de business développement ou procéder aux introductions pertinentes le moment venu (post-levée, ou même parfois pendant la levée, comme argument prouvant l’apport potentiel du futur investisseur pour le business). 

Les fondateurs chercheront aussi à optimiser l’équilibre des investisseurs entrants et existants afin de pouvoir bénéficier de leurs apports complémentaires. 

Cependant, le critère de choix numéro un, qui est assez évident, reste le fit entre les fondateurs et les potentiels investisseurs. Cela souligne l’importance de la construction d’une vraie relation entre l’investisseur et les fondateurs en amont de la levée elle-même.

Les investisseurs ont pour la plupart un radar de startups early stage identifiées comme prometteuses, avec lesquelles ils vont chercher à entretenir des conversations régulières assez tôt. Cela leur permet de suivre l’évolution du business, proposer des mises en relation pertinentes, et nourrir une relation sur la durée. Ils peuvent ainsi être idéalement positionnés au moment opportun, avec parfois même la possibilité de préempter une levée, i.e investir avant même qu’un processus officiel ne soit lancé.

Vous pouvez aussi vous référer à un autre article Tribes questionnant l’intérêt de lever des fonds.


II – Le comment : comment se déroule un processus de levée de fonds ?

Un autre élément souvent peu couvert par les communiqués de presse au sujet des levées de fonds est le comment : comment se déroulent les phases pré et post term sheet, et qui sont les parties prenantes qui interviennent tout au long de la levée. 

La phase pré-term sheet

1. Les parties prenantes

Au-delà des deux parties principales – l’entreprise d’une part, et le/les fonds prospects de l’autre, de plus en plus de deals à partir de la série A sont intermédiés par des leveurs de fonds ou des banques / boutiques spécialisées dans la tech. 

Les entrepreneurs choisissent de recourir à ces intermédiaires afin d’alléger le poids que représente un processus de levée de fonds pour quelqu’un qui doit en parallèle continuer à gérer l’opérationnel. Mais aussi car ces experts assistent les fondateurs dans leur manière de conduire le process et la négociation des termes, agissant presque comme des coachs dans certains cas. 

2. L’analyse

Lors de cette phase, les investisseurs ont accès à un datapack préalablement constitué par l’entreprise afin de pouvoir conduire leurs analyses financières, de mieux appréhender le marché, le paysage concurrentiel, la tech, le produit etc… Ils ont l’opportunité d’échanger avec les différentes équipes opérationnelles ainsi qu’avec les managers et l’équipe fondatrice afin de compléter leurs analyses.

Pendant la phase d’analyse, les fonds peuvent recourir à des consultants externes (cabinets ou particuliers) afin de les assister dans l’approfondissement de certaines analyses, notamment lorsqu’il s’agit de points spécifiques concernant la tech, le produit, etc… 

La durée de la phase d’analyse varie fortement d’un deal à l’autre, mais de manière générale la vélocité des deals a augmenté ces dernières années, du fait de l’intensité compétitive notamment, et les entrepreneurs attendent une forte réactivité de la part des fonds pour la remise d’offres. Ils peuvent même parfois établir une deadline stricte de remise d’offres.

La phase d’exclusivité post-term sheet

1. L’entrée en exclusivité

La signature par les investisseurs et les fondateurs de la term sheet constitue dans la plupart des cas le début de la phase d’exclusivité, et l’arrêt des discussions entre les fondateurs et tout autre investisseur non-signataire. 

2. La due diligence confirmatoire

Lors de cette phase, le/les fonds mène(nt) leur due diligence confirmatoire, la plupart du temps en faisant appel à des consultants / cabinets externes.

L’objectif est d’établir des rapports d’analyse sur la situation financière, légale, tech, etc… de l’entreprise afin d’éliminer tout red flag potentiel qui pourrait remettre en question l’investissement.
Il s’agit surtout d’une assurance pour l’investisseur que l’entreprise cible n’a pas caché d’élément essentiel lors de la phase pré-term sheet.

Il est rare qu’un deal échoue pendant cette phase, mais cela arrive parfois si le fonds ou ses consultants découvre(nt) un ou plusieurs éléments déterminants qui remettent en question la thèse d’investissement initiale.

Source : Les Echos Capital Finance, 24 mars 2022 – liste des parties prenantes et conseils

III – L’après-levée : que se passe-t-il une fois la levée achevée ?

La plupart du temps, une fois l’investissement réalisé, et annoncé dans la presse, ce qui n’est pas systématique et pas toujours instantané (certains deals ne sont jamais communiqués publiquement ou le sont après un long délai), les entreprises disparaissent de nos radars pendant quelque temps, souvent jusqu’à la prochaine levée.
Les médias couvrent finalement assez peu l’après-levée, qui est pourtant un moment stratégique pour la start-up. 

1. Le plan d’action post-levée

Les nouveaux fonds arrivent la plupart du temps avec une recommandation de plan d’action à 100 jours / 1 an / 3 ans (souvent appelé Value Creation Plan) qui découle des conclusions de leurs analyses et des rapports de due diligence confirmatoire de leurs consultants.
Ils arrivent aussi avec des attentes par rapport aux axes de développements stratégiques qui ont été mis en avant pendant le processus de levée de fonds, et vont vouloir se “mettre au travail” au plus vite afin de faire bénéficier à leur nouvelle participation d’un accompagnement opérationnel.

Un  des chantiers principaux post-levée est le recrutement : l’injection de cash supplémentaire dans l’entreprise va lui permettre de recruter des profils seniors (CFO, General Managers de nouveaux pays, …), aux salaires relativement élevés, en ayant parfois recours à des cabinets de chasse de tête.
Ces profils sont essentiels pour structurer l’organisation et l’accompagner dans sa nouvelle phase de croissance post-levée. 

Vous trouverez ici le lien vers un panel auquel j’ai participé aux côtés de CoachHub, Malt, Scalapay et High Flyers sur le sujet recrutement.

2. Les attentes et priorités post-levées

L’après-levée est donc un moment charnière qui marque souvent une phase d’accélération, ou du moins de réflexion stratégique poussée, et non un moment de relâchement après la période intense de la levée comme on pourrait le penser. 

L’équipe de management et les fondateurs, ont dû consacrer beaucoup temps à leur levée au cours des mois précédents, ont souvent à cœur de se remettre à fond dans l’opérationnel.
En effet, même si l’équipe fondatrice est très bien préparée et parfois accompagnée par un leveur, le processus de levée de fonds prend du temps dans les calendriers, aussi bien avant la signature de la term sheet que pendant le processus de due diligence confirmatoire.
Une fois cette levée réussie, il faut donc rattraper les éventuels retards dans l’exécution, leverager au maximum les nouveaux investisseurs et accélérer, en surfant notamment sur la notoriété que peut amener l’annonce de la levée sur le marché.

Les nouveaux investisseurs vont rapidement chercher à apporter un support opérationnel le plus efficace possible.
Les quelques mois post-levée sont généralement ponctués de workshops stratégiques sur des sujets identifiés lors de la due diligence (M&A, expansion internationale, …), de discussions sur les recrutements clés à lancer dans la foulée, et de meetings / calls réguliers pour initier la relation entre le nouvel investisseur et l’entreprise.
Les fonds vont ainsi ouvrir leur réseau à leur nouvelle entreprise de portefeuille, aussi bien pour des opportunités de business développement, via leur réseau corporate et/ou leur portefeuille existant, que pour du recrutement via leur réseau de chasseurs de têtes par exemple comme mentionné plus haut.

Assez vite, un rythme de croisière se met en place, selon les besoins et les préférences des différents actionnaires, ponctué de boards, workshops stratégiques, échanges réguliers et support opérationnel ponctuel.

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Cet article n’est que le condensé de certains éléments concernant les levées de fonds qui sont selon moi trop peu couverts par la presse.
Il ne s’agit pas d’une vérité générale, chaque processus étant spécifique et chaque entreprise étant unique.
Néanmoins, j’espère que cette lecture vous aura permis de comprendre un peu mieux le pourquoi et le comment d’une levée de fonds et quels en sont les enjeux à très court terme post-deal.