Ces dernières années, un nouveau modèle de startups a émergé : les tech-enabled services. Ces nouveaux acteurs ont la particularité de combiner un logiciel et un accompagnement humain, packagés dans une seule et même solution clé-en-main pour leurs clients.

Les tech-enabled services utilisent la technologie pour augmenter les capacités de leurs propres employés et fournir un service de meilleure qualité et plus rapide que les acteurs traditionnels du marché 100% service.

Pourquoi écrire sur ce sujet ?

  • La stratégie des tech-enabled services est encore peu documentée en France, alors qu’il y a de grandes différences avec la construction d’un SaaS ou d’une Marketplace. Connaître ses spécificités me paraît essentiel pour réussir en tech-enabled, aussi bien pour les fondateurs que pour les premiers employés !
  • En tant que fondateur d’Everping (un tech-enabled services qui simplifie la gestion des ordinateurs et logiciels des startups et PMEs), c’est un sujet que j’affectionne et connais particulièrement. J’ai d’ailleurs mis du temps à appréhender ce modèle au démarrage, il y a 3 ans.
  • Après de nombreuses discussions avec d’autres fondateurs tech-enabled et des recherches sur internet dans la littérature US, je vous propose mon retour d’expérience sur les spécificités de ces modèles “tech + humain”, les difficultés rencontrées mais aussi la beauté inhérente à ces stratégies !

I – Combiner le logiciel et l’humain

Les tech-enabled services ont la particularité de développer un logiciel en interne et de le coupler avec un accompagnement humain, pour proposer une solution sur le marché ayant de meilleures performances que les acteurs traditionnels. L’objectif est, grâce à la technologie, d’automatiser une partie des actions, de donner plus de visibilité aux clients et de leur permettre un meilleur pilotage.

Quelques illustrations d’entreprises tech-enabled :

  • Comptabilité : Dougs proposent à ses clients un logiciel comptable ainsi que l’accès à des experts-comptables dans une seule et même solution. (C’était également le cas de Pennylane à ses débuts, on y reviendra par la suite).
  • Syndic de copropriété : Homeland qui a levé 9 M€ l’année dernière propose à ses clients une plateforme logiciel ainsi que l’accès à plusieurs expertises (travaux, juridique, compta, gestion de sinistres) à la place d’un syndic traditionnel.
  • RH : Justwork combine aux US une plateforme digitale avec des services RH, afin de gérer la paie, la mutuelle et les avantages sociaux des employés d’une startup ou PME.
  • Data labeling : Scale.ai propose des outils technologiques et l’accès à des équipes de data analysts pour catégoriser la donnée et développer des solutions reposant sur le Machine Learning.
  • Gestion des ordinateurs : chez Everping, nous simplifions la gestion des ordinateurs et logiciels des startups et PME grâce à une plateforme et un accompagnement humain.
Entreprise tech-enabled service

Mais pourquoi faire le choix de lancer une offre “SaaS + humain” et pas uniquement un SaaS ?

C’est une question que l’on me pose souvent et il y a trois principales raisons à mes yeux :

Fournir une solution clé-en-main

Un lieu d’avoir à acheter un outil et passer des heures à essayer de recréer des automatisations sur des actions souvent non coeur business, les clients ont accès à une offre clé en main, avec des fonctionnalités sur l’étagère et prêtes à l’emploi, ce qui leur enlève de la charge mentale et leur permet de gagner un temps considérable.

La “human touch”

Certaines actions ne peuvent tout simplement pas être automatisées ou remplacer par de l’IA. C’est le cas notamment des actions qui nécessitent une expertise humaine forte, qu’un robot ne pourra remplacer. Par exemple le conseil de son expert-comptable ou de son avocat. Ou bien l’aide du support IT pour résoudre un bug sur son ordinateur, 5 min avant d’entrer dans une réunion client, pour laquelle un chat bot n’aurait pas pu faire grand-chose.

Augmenter sa taille de marché

Proposer directement une offre de service permet aussi dans certains cas d’avoir accès à un marché beaucoup plus large. C’est le choix que font les “Ai driven agencies” comme l’explique ici le VC américain Tomasz Tunguz. Au lieu de créer un logiciel qu’elles pourraient vendre aux autres agences pour tenter de les équiper et les digitaliser (avec une faible taille de marché), elles préfèrent créer un logiciel utilisé par leur consultant en interne, afin de battre les agences traditionnelles du marché et bénéficier d’un marché adressable beaucoup plus large. “If you can’t sell to ’em, beat ’em..

Software as a service and

1. Les points communs avec le SaaS

Avant d’évoquer les particularités de ces modèles, il faut en premier lieu avoir en tête les principaux points communs entre la stratégie 100% logiciel et le tech-enabled services :

L’abonnement récurrent

À grande majorité des tech-enabled partagent avec les SaaS les avantages d’un business model en abonnement. Ces avantages sont nombreux et le but de cet article n’est pas de les détailler, on peut penser par exemple à la prédictibilité des revenus ou encore l’appétence des investisseurs. A noter cependant que les tech-enabled ont généralement une marge brute inférieure au modèle SaaS et qu’il convient de raisonner plutôt en marge brute récurrente qu’en revenu récurrent comme l’ont expliqué Thibault Renouf ou Jonathan Bonnet dans ces articles Follow Tribes.

Un objectif identique : rendre un service final à un utilisateur.

Dans les deux modèles, l’objectif est de rendre un service final aux clients, que ce soit le Sofwtare As A Service ou bien la combinaison “SaaS + humain”. L’approche change, mais la finalité reste la même : fournir une solution utilisable facilement, qui fait le job souhaité par l’utilisateur final.

La dimension technologique

Ces deux modèles ont également en commun le fait que les entreprises sont à dominante technologique forte, avec des équipes de développeurs pour automatiser les actions ainsi qu’améliorer le pilotage et l’expérience client.

2. Les principales spécificités…quand l’humain entre en jeu

Le piège du Service Market Fit

Le Graal pour les startups SaaS early stage est, après avoir testé plusieurs hypothèses, de passer le fameux Product Market Fit, lorsque suffisamment de clients sont prêts à acheter la solution et que le produit rencontre son marché. Le risque pour les tech-enabled services est de confondre ce moment avec le Service Market Fit, qui arrive très en amont lorsque des clients achètent le service que vous proposez. Il n’y a à ce moment aucune hypothèse validée ni de solution qui rencontre son marché, mais plutôt des clients qui achètent un service qui existe déjà sur le marché… La question clé qu’il faut se poser à ce moment-là : est-ce que le client achète vraiment le produit que vous construisez ou bien juste le service ? Est-ce que la technologie a déjà confirmé la thèse de départ et permet d’améliorer vraiment significativement le service ? Par exemple en automatisant une grande partie des actions réalisées à la main par un acteur traditionnel ? C’est uniquement à ce moment-là que l’on peut parler de Product Market Fit et qu’un acteur tech-enabled rencontre réellement son marché. Le risque pour les tech-enabled est de confondre ces 2 moments et de grandir trop vite avec toute la complexité qui va avec, de lever plusieurs millions et de se retrouver plusieurs mois ou années après avec un produit qui n’améliore pas vraiment la solution et qui n’a pas validé la thèse de départ.

Le service market fit

L’accès plus facile au cash

Les tech-enabled ont la chance d’avoir un accès beaucoup plus rapide au chiffre d’affaires et au cash au démarrage que les acteurs construisant uniquement un logiciel. Ils peuvent en effet mettre très rapidement sur le marché une solution en proposant une partie du service – même avec très peu d’automatisation – et ainsi financer les premières années. Les premiers clients et le chiffre d’affaires encaissé vont permettre de financer les automatisations à venir et cela beaucoup plus facilement qu’un acteur du logiciel qui doit souvent lever pour créer les premières fonctionnalités. C’est grâce à cette stratégie d’accès rapide au marché que nous avons réussi, avec Nicolas Burel, à financer les premières années d’Everping et posé les fondations de notre solution d’infogérance (plus ici sur les débuts d’Everping)

Surveiller la marge brute

Le business model des tech-enabled est certes très souvent de l’abonnement récurrent comme mentionné plus haut, mais la structure de coûts de ces entreprises est plus lourde que celle des logiciels. Alors que ces derniers peuvent viser des Gross Margin de 80 ou 90% avec uniquement des coûts de data centers et de support, les acteurs tech-enabled doivent intégrer dans le calcul de la marge brute le coût du service vendu, c’est-à-dire des humains qui réalisent le service. Ainsi, les marges sont souvent plus faibles et l’une des spécificités de ces acteurs est de devoir très tôt mesurer et suivre cet indicateur, même en early stage. Les tech-enabled doivent idéalement être fixés dès les premiers mois sur leur point de départ de marge brute (20%, 30%, 50%, 60% ?) pour se comparer aux acteurs traditionnels et se fixer des objectifs d’amélioration incrémentale grâce à l’automatisation.

Les joies du produit interne

Les tech-enabled ont très souvent deux produits, un produit externe pour leur client et un produit interne pour les collaborateurs réalisant le service. Cela demande donc de devoir construire deux produits à la fois, ce qui est d’ailleurs très apprécié des équipes Produits et Dev puisqu’ils ont des béta testeurs en interne à côté d’eux dans les bureaux…et inversement, les collaborateurs réalisant le service ont le sentiment d’être écoutés et de voir une partie de leur métier vraiment amélioré grâce à leurs collègues Tech & Produit !

Une visibilité plus difficile

Il y a cependant moins de données à traquer et mesurer dans les modèles tech-enabled services car la solution repose sur de l’humain et pas à 100% sur de la technologie. Cela peut entraîner une visibilité plus difficile à obtenir sur le réel usage de la solution et les pans à améliorer, ce qui demande aux fondateurs et aux employés les premières années d’avoir des convictions et une vision forte. Tout en essayant de mesurer ce qui est mesurable au maximum !

L’agilité de l’humain… puis la plus difficile scalabilité

Un des grands attraits du modèle tech-enabled est l’agilité permise au démarrage, puisque les changements de process et la sortie d’un nouveau service sont beaucoup plus rapides que le développement logiciel. Les itérations et changements peuvent être nombreux, parfois en quelques heures. Il suffit en effet de se mettre d’accord et de rédiger un nouveau process sans avoir à écrire une seule ligne de code. Cette vitesse permet de comprendre les actions qui seront plus tard automatisées et d’offrir à ses premiers clients une agilité et un service de qualité. En revanche, après une certaine taille (souvent entre 500k et 1M€ de revenu récurrent annuel), l’agilité devient plus difficile. Il faut désormais former plusieurs dizaines de personnes en interne pour chaque changement de process ou encore devoir expliquer aux clients pourquoi une façon de faire est désormais abandonnée. La scalabilité est alors possible s’il y a une rigueur opérationnelle forte initiée par le management et si les fondations de départ ont été solidement posées. La complexité opérationnelle est l’une des raisons principales pour laquelle les tech-enabled services ont souvent du mal à franchir les 50k€ de revenu récurrent mensuel (MRR) alors que les premiers mois de croissance avaient été rapides (grâce à cette agilité de départ et la vente d’un service déjà existant).

Stratgie de croissance startup

II – Grandir ou se transformer en logiciel SaaS ?

Quelle trajectoire en grandissant ? Au-delà des raisons de pourquoi faire de la croissance en tant que startup, il existe deux principaux chemins pour les tech-enabled services : devenir un tech-enabled services de très grande taille ou pivoter vers le SaaS. Et il convient d’être clair le plus vite possible sur ce que l’on cherche à faire, au risque sinon de se tromper de voie ou de faire des erreurs stratégiques !

Devenir un tech-enabled services de très grande taille

La première voie possible est de grandir et devenir un acteur de référence, en restant sur son marché d’origine. Le rôle de la technologie est alors d’assurer la scalabilité du service et des opérations, tout en allant chercher des gains de productivité et des économies d’échelle. Cette croissance serait beaucoup plus lente pour un acteur traditionnel (plus d’une dizaine d’années parfois !), voire impossible sans la technologie. (Je précise cependant que la technologie n’est pas le seul moyen de faire grandir une entreprise de services et qu’il existe d’autres voies possibles, comme celle des speed boats – que j’ai découverte récemment avec Avizio).

Grandir sur le créneau initial reste la voie la plus naturelle pour les tech-enabled services qui réussissent à passer à l’échelle avec succès, en levant des montants significatifs avec des VC ou en choisissant l’autofinancement. Par exemple :

  • Comptabilité : pilot.com a levé 60M€ avec Sequoia aux Etats-unis sur un modèle “tech + comptable” et emploie désormais 400 employés. En France, Dougs emploie +150 collaborateurs et n’a jamais levé (officiellement en tout cas).
  • Data labeling : Scale.ai emploie +450 salariés et a levé 300M$ sur une valorisation à 7 mds pour sa solution de data labeling.

La croissance peut également se faire par le biais d’acquisition de concurrents, pour arriver plus rapidement à la taille critique et bénéficier des gains de productivité réalisés grâce à la technologie sur une plus grande masse. C’est la stratégie choisie par Homeland qui a annoncé récemment avoir acheté son 3ème syndic de copropriété par exemple.

Bien que plus naturelle, la voie de la croissance en tech-enabled n’est pas aussi simple qu’elle n’y paraît cependant, d’autant plus si l’automatisation souhaitée ou si les gains attendus ne sont pas au rendez-vous. On peut par exemple penser à la faillite d’Atrium qui n’a pas réussi à améliorer suffisamment le service juridique proposé à ses clients : les actions des avocats et juristes embauchés en interne se sont révélées beaucoup plus difficiles à automatiser que prévu et Atrium a préféré fermer boutique et rendre une partie des 75 M$ levés quelques mois auparavant auprès d’Andreessen Horowitz !

La faillite d’Atrium, relayée par TechCrunch début 2020
La faillite d’Atrium, relayée par TechCrunch début 2020

Pivoter vers le logiciel SaaS

La deuxième voie possible pour les acteurs tech-enabled est d’abandonner la partie service pour commercialiser in fine uniquement le logiciel.

Cette voie peut-être délibérée et choisie très rapidement par les fondateurs. La phase initiale de service est alors uniquement vue comme un laboratoire pour accéder rapidement au marché, signer plusieurs dizaines de clients, comprendre leurs problématiques pour ensuite développer le meilleur produit possible. C’est le choix qui a notamment été fait par Pennylane, qui a commencé avec une offre “tech + experts-comptables” les premiers mois avant de céder à un autre cabinet comptable la partie service et se concentrer sur le développement logiciel à 100%.

Ce changement de direction peut également se faire dans un contexte plus difficile après quelques années de commercialisation, où l’objectif est alors de donner une nouvelle dynamique à l’entreprise. Bellman a par exemple fait le choix de pivoter vers une offre 100% logicielle après un plan de sauvegarde de l’emploi et un nouveau tour de table réalisé en interne, comme annoncé dans les Echos en novembre dernier.

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Pour conclure, je pense qu’il est intéressant de souligner que la distinction entre SaaS et Tech-enabled services n’est pas toujours si évidente. Certains SaaS ayant en effet besoin d’une équipe support conséquente pour assurer le fonctionnement de leur logiciel ou bien pour le paramétrer à la place du client (ces équipes sont d’ailleurs souvent appelées “consultant”), on peut donc se demander légitimement dans quelle catégorie ces entreprises sont et si ce n’est finalement pas qu’une question de point de vue !

Vous souhaitez échanger sur le modèle tech-enabled services ou me contacter ? N’hésitez pas !